La marche, outil de communication et de contestation

La revue Hermès, une des revues de référence en communication publie (octobre 2023) son dernier numéro sur le thème de la marche.

J’y ai rédigé un article sur le thème « Marche et contestation » que je mets ci dessous.

 

 

Voici quelques lignes de présentation prises sur le site du numéro de la revue:

 

 

La marche ne consiste pas seulement à mettre un pied devant l’autre. Elle vise à satisfaire notre curiosité et à combler notre besoin de liberté. La curiosité de la découverte du monde et de soi-même (ses forces et ses limites), lors de randonnées, d’excursions, de déambulations, de flâneries…
La liberté, avec les manifestations de rue, les pèlerinages, les processions et autres modalités collectives pour partager un même objectif, un même transport qui facilite l’unité d’un groupe. Mais la marche est parfois tragique, forcée et porteuse de la violence faite à l’Autre, jusqu’aux marches de la mort.

 

 

Ainsi la marche est multiple, complexe et cette diversité de formes confirme sa grande importance pour faire société et analyser diverses composantes de la communication sociale. Elle révèle parfois même des situations d’incommunication voire d’acommunication au sein des sociétés et groupes d’individus. C’est ce que montrent les quarante contributions ici réunies qui fournissent la matière d’un original vade-mecum pour le marcheur contemporain.

 

 

Mon article: 

 

 

Le marcheur, figure de la contestation environnementale

 

La relation entre la marche et l’opposition à un projet d’implantation ayant un fort impact environnemental peut s’appréhender de trois manières en lien avec les problématiques de communication.

Si le caractère apparemment systématique de la contestation aux projets de construction d’équipements s’effectue symboliquement autour des figures radicales du zadiste[1] ou du Black Bloc, il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. En effet, et cela constitue historiquement l’apparition des premières contestations, celles-ci sont effectuées par des collectifs de marcheurs souhaitant préserver l’esthétique des paysages traversés.

 

 

C’est ainsi que le premier cas recensé apparaît en Grande-Bretagne en 1844, dans le comté de Cumbria dans la région des lacs (Lake District). Il a pour origine un projet de construction d’une ligne ferroviaire reliant Kendal à Windamere et se fédère autour d’une personnalité, William Wordsworth, auteur de guides touristiques sur la région. Le mouvement était en germe dès 1833 avec la création du Select Committee on Public Walks qui, au nom de la défense des droits de passage sur les sentiers ruraux engagea la lutte pour la protection d’espaces verts dans le voisinage des grandes villes industrielles[2]. Quelques années plus tard, et toujours avec l’implication des randonneurs et dans ce même lieu, le projet en 1870 d’un programme de barrage sur le lac Thirlmere génère de fortes contestations[3]. Aux Etats-Unis, c’est également le projet de construction d’un barrage dans la vallée de Hetch Hetchy, dans le Yosemite, qui fédèrera en 1908, des collectifs de randonneurs.

 

En France, la première opposition date de 1908 lorsque la société des excursionnistes de Marseille décide de s’opposer au projet d’installation d’une usine d’exploitation du sable et de la chaux par le groupe chimique Solvay dans les Calanques avoisinantes. « C’est la mobilisation générale, plus d’un millier d’excursionnistes manifestent contre le projet. C’est la première fois que les citoyens se mobilisent contre un projet industriel destructeur de l’environnement naturel. L’année d’après, c’est au club Cévenol de protester auprès des pouvoirs publics contre les menaces qui pèsent sur les forêts des Causses»[4].

 

 

En dehors de la figure du randonneur, appelé originellement excursionniste, le marcheur est depuis longtemps également un symbole de contestation. A la différence du cas précédent, il ne s’agit pas ici du marcheur en tant qu’individu directement concerné par un projet l’impactant dans son activité de marche, mais de tout individu concerné ou non par un projet et qui utilise le moyen de la marche pour sensibiliser à son combat.

C’est ainsi que le marcheur est depuis longtemps une figure de la contestation. Depuis qu’en mars 1907, Marcelin Albert, viticulteur de l’Aude entreprit une marche depuis son village vers Narbonne pour protester contre la commercialisation de vin frauduleux, la marche du sel de Gandhi en 1930 ou plus récemment la marche en 2001 du mouvement zapatiste dirigé par le sous-commandant Marcos qui s’effectua sur 3.000 kilomètres en direction de Mexico.

 

 

La marche est conçue prioritairement comme une force d’opposition apte à fournir du fait des distances parcourues une visibilité dans l’espace public, en échelonnant la prise de parole médiatique sur des lieux-étapes distincts et en recherchant l’accroissement progressif des troupes au travers de collectifs locaux.

La réussite communicationnelle de la marche n’est toutefois pas évidente, notamment si elle échoue dans ses relations publiques au long du parcours et plus particulièrement durant les étapes. L’indifférence des publics rencontrés conjuguée à une faible attractivité médiatique risque de réduire à néant les efforts physiques déployés[5]. C’est ainsi que la marche « Pour une société sans plutonium » qui se déroula entre le 28 mars et le 17 avril 1982 entre Creys-Malville et Paris témoigne de cas où, selon l’expression de Sylvie Ollitrault, les marcheurs « ne rencontrèrent ni le succès escompté, ni les soutiens d’antan tout au long du parcours qui se déroula dans une indifférence quasi générale. »[6]

 

La troisième force de contestation en lien avec la marche est aussi la plus traditionnelle ; il s’agit de la manifestation. Par la marche, les manifestants exposent leurs corps compacts dans l’espace urbain, parfois au coude à coude pour renforcer l’image d’une cohésion et expriment leur contestation par des slogans, pancartes, chants. Il y a dans la marche du manifestant autant un symbole d’opposition à une situation ou un projet qu’une mise en valeur d’un lien social. Cette mise en scène a d’ailleurs fortement évolué avec la puissance médiatique traditionnelle et celle des réseaux sociaux. Il s’agit d’abord de faire de la marche un support communicationnel apte à attirer l’attention des médias.

 

 

« On pourrait presque dire, en forçant un peu l’expression, que le lieu stratégique où se déroulent les manifestations, qu’elles soient d’ailleurs violentes et spontanées ou pacifiques et organisées, n’est pas la rue, simple espace apparent, mais la presse (au sens large). »[7]. Le terme même de « marche » tend parfois à supplanter celui de « manifestation » pour conférer à l’évènement une touche de modernité et de positivité, on manifeste « contre » mais on marche souvent « pour » à l’exemple des marches pour les droits civiques ou pour le climat.

Marche, manifestation, rassemblement, cortège, les occasions de mise en scène dans l’espace public, même profondément renouvelées par les nouveaux angles médiatiques, restent un des plus puissants symboles de la contestation.

 

 

Thierry Libaert

Collaborateur scientifique au Earth & Life Institute

Université catholique de Louvain

 

 

[1] : Philippe Subra, Zones à défendre. De Sivens à Notre-Dame-des-Landes, Editions de l’Aube, 2016.

[2] : Charles-François Mathis, In nature we trust. Les paysages anglais à l’ère industrielle, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2010, p. 116.

[3] : Harriet Ritvo, The dawn of green: Manchester, Thirlmere and modern environmentalisme, Chicago Press, 2009.

.[4] : Roger Cans, Petite histoire du mouvement écolo en France, Delachaux et Niestlé, 2006, p. 48.

[5] : sur ce sujet cf Thierry Libaert et Jean-Marie Pierlot, Les nouvelles luttes sociales et environnementales, Vuibert, 2015.

[6] : Sylvie Ollitrault, Militer pour la planète. Sociologie des écologistes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 96.

[7] : Patrick Champagne, Faire l’opinion, le nouveau jeu politique, Editions de Minuit, 1990, p. 232.

 

 

La communication, Savoir, Pouvoir et Démocratie

Dans le N° 1107 de Juillet-Septembre 2023 de la Revue Politique et Parlementaire, j’ai rédigé un chapitre sur le thème: « La communication entre Savoir, Pouvoir et Démocratie », page 73 à 78.

Comme l’indique Arnaud Benedetti dans sa présentation: « Pas de démocratie certes sans communication mais celle-ci, à l’heure du big data, ne renforce pas plus notre capacité à maîtriser le savoir qu’elle ne rend plus audible et acceptable le pouvoir. La communication est une nécessité démocratique mais elle est une nécessité sous condition d’écoute ».

J’ai essayé d’approfondir les relations entre ces 3 domaines où, à chaque fois, les enjeux de communication sont considérables.

Mon article est disponible ici: Article ThL La communication. RPP

 

 

 

Slow Communication

Article publié dans les cahiers de la SFSIC (Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication) sur les relations entre temporalité et communication. Comment expliquer l’accélération du temps dans la communication et quelles en sont les conséquences. Cet article apporte quelques éléments de réponse. N° 13. Février 2017. Pages 19 à 26. Slow communication

Communication & Organisation. N°50. Décembre 2016.

Publication dans la revue « Communication & Organisation » N° 50 de Décembre 2016. L’article interroge le recours à la posture de l’avocat utilisé dans les relations publiques. Interpellé sur le fait de défendre des clients « sensibles », les responsables de RP déclarent souvent qu’ils sont « un peu comme » des avocats pour leur client.

Communication & Organisation. N°45. Juin 2014.

Publication dans la revue « Communication & Organisation » N° 45 de Juin 2014 d’un article co rédigé avec mon collègue de l’Université catholique de Louvain sous le titre « Les relations sont elles publiques ou avec les publics? ». Page 165 à 175. L’article s’interroge sur la pertinence du changement du syndicat français des relations désormais publics.

Relations publiques ou publics?

UQAM

La communication sur les sujets sensibles

Article publié dans la revue de l’Université du Québec à Montréal et analysant le discours des entreprises sur les sujets les plus sensibles. Article co-rédigé avec François Allard-Huver.

10 ans de lecture en communication

J’ai synthétisé l’ensemble de mes critiques d’ouvrages parus depuis 10 ans sur la communication dans le document ci joint. Ces critiques figurent pour la plupart dans la partie « Coin des étudiants » de mon site, dans l’espace « critiques des nouveautés ». J’ai pensé utile de les réunir dans un document de synthèse. Des synthèses semblables sur la communication de crise et la communication RSE se situent dans les rubriques correspondantes

Communication & Organisation. N°42. Décembre 2012. Pages 5 à 10.

La communication, dimension oubliée de l’Intelligence économique. Dossier de la revue de l’Université de Bordeaux, « Communication & Organisation » cordonnée avec Nicolas Moinet.
Ce dossier a reçu le prix « Chouette de cristal » 2013 du meilleur livre sur l’Intelligence économique.

Editorial: http://communicationorganisation.revues.org/3828

Communication & Organisation. N°36. Décembre 2009. Pages 150 à 177.

Alea communicationnel et communication sensible, pour une reconnaissance de l’effet d’incertitude appliquée à la communication d’entreprise.

La communication interne, pour mémoire. RH&M d’octobre 2008 (N°31). Pages 66 et 67.

Article sur les évolutions de la communication interne dans les organisations. La communication interne est en débat en raison de la crise de confiance envers toutes les organisations et le volet interne est au 1er rang des sujets de préoccupations.