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La fabrique du mensonge

Journaliste au Monde, Stéphane Foucart propose dans ce livre une enquête sur les méthodes utilisées par quelques industriels pour nous convaincre de l’innocuité de leurs activités. Il reprend l’axe utilisé par Erik Conway et Naomi Oreskes dans leur livre, Les marchands de doute et aboutit à la même conclusion ; pour les industriels, aucune décision ne peut être prise car « Il y a beaucoup d’incertitude ». « Tous les spécialistes ne sont pas d’accord. »

Il montre l’importance considérable du funding effect puisque selon lui, l’origine industrielle du financement d’une recherche influe toujours ou presque sur les résultats obtenus.

L’ouvrage démarre avec une analyse de la stratégie des fabricants de tabac et montre comment un grand nombre de scientifiques français de premier plan ont accepté de prêter leur nom aux grands cigarettiers. La stratégie est claire : « Les industriels prendront garde à ne pas donner l’impression de nier systématiquement les découvertes que iraient contre eux, ils doivent en susciter de nouvelles et mettre en avant des scientifiques qui partagent leurs vues. » (p. 35).

L’auteur revient sur l’opération Heidelberg qui eut lieu en 1992, au moment du démarrage du Sommet de la Terre à Rio. Il démontre comment ce qui pouvait sembler une parole libre de plus de 70 prix Nobel intervenant pour prévenir de toute dérive environnementale anti-industrialiste était en fait géré par un cabinet de conseil en relations publiques intervenant pour l’industrie de l’amiante. Ce qui fait de cette opération « La plus formidable opération de communication scientifique jamais entreprise par un lobby industriel » (p. 83).

Le chapitre consacré au réchauffement climatique apporte moins de révélations, car Stéphane Foucart avait écrit son premier ouvrage sur ce sujet, Le populisme climatique, mais la connexion qu’il établit avec la problématique des gaz de schistes est très éclairante, notamment dans la capacité des industriels à fournir des études biaisées, mais à les porter au plus haut niveau de la décision publique.

Les observations faites sur la disparition des abeilles en raison des néonicotinoïdes, c’est-à-dire sur cette classe d’insecticides, sont passionnantes. Pour l’auteur, les faits sont entendus depuis une vingtaine d’années, mais les stratégies utilisées par les producteurs pour « diluer un problème par une importance accrue accordée aux autres » (p. 176) a permis de retarder toute prise de décision. En clair, il s’agissait pour les industriels de proposer de nouvelles recherches mettant en évidence que la disparition des abeilles pouvait avoir d’autres explications.

Le livre se termine avec l’examen des perturbateurs endocriniens et des OGM ; notamment par l’utilisation d’organismes écrans dans le premier cas, d’attaques ad hominem dans le second.

Au final, on découvre à chaque fois un arsenal assez similaire composé d’infiltration dans les organismes d’évaluation, de création de comités d’experts, de diffusion d’informations de masse, de contrôle des études potentiellement négatives, de détournement de problèmes vers d’autres sujets pour retarder toute prise de décision, d’attaques personnelles, d’appel à la prudence pour la sauvegarde de l’emploi et de la compétitivité.

Un excellent livre qui fait froid dans le dos, notamment quand on perçoit que les problèmes sont généralement connus des industriels eux-mêmes alors que les conséquences en termes de mortalité sont parfois immenses.

A titre de seule réserve, j’ai trouvé que Stéphane Foucart abusait de l’utilisation des tobacco documents puisque ceux-ci étaient réutilisés dans chaque chapitre. Mais bien sûr, il y a sur le tabac une masse de documentation désormais accessible sur le web, ce qui n’est pas le cas des autres entreprises où l’opacité est de rigueur.

Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Denoël Impacts, 304 pages.