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Gestion de crise: l’affaire du radeau de la Méduse

La gestion des crises dans l’histoire

Le radeau de La Méduse

 

La_Balsa_de_la_MedusaA l’occasion de la parution de l’ouvrage de l’historien britannique Jonathan Miles sur le naufrage de la Frégate La Méduse, il est intéressant de revenir sur cette histoire tragique. L’auteur ayant eu accès à tous les documents et récits relatifs à ce naufrage, nous pouvons, comme pour un rapport d’une commission d’enquête, extraire les leçons pour toute catastrophe dans une perspective de gestion de crise.

 

Les faits méritent d’être rappelés. En juillet 1816, la frégate française La Méduse s’échoue sur un banc de sable au large du Sénégal. 147 personnes tentent de se sauver en fabriquant un radeau de fortune qui errera sur les flots pendant 12 jours, avant d’être retrouvé avec seulement 15 survivants. Les récits sont atroces, les survivants se sont entretués, les plus faibles ont été jetés à la mer, la survie est due au canibalisme. Cet événément aura une portée considérable, notamment grâce à Géricault qui peignit cette œuvre en s’entourant de débris humains pour mieux s’imprégner de l’ambiance sur le radeau.

 

Theodore-Gericault-Paintings-_anatomic_preparationLa première leçon de ce naufrage peut être faite en relation avec le Titanic. Ici également a pu régner un sentiment d’insubmersibilité puisque l’auteur révéle que « Lorsqu’elle s’apprête à prendre la mer en juillet 1810, La Méduse est un navire dernier cri » (p. 21). Le sentiment d’être infaillible est un classique de la gestion de crise puisqu’il réduit à néant la plus élémentaire prudence.

 

De même, et ici également le parallèle avec de nombreux naufrages peut s’effectuer, le capitaine de la frégate n’avait pas été nommé pour ses compétences, il n’avait d’ailleurs pas navigué depuis un quart de siècle, mais il fut l’objet d’une nomination purement politique. Piètre navigateur, mais voulant faire illusion sur son équipage, il réfuta tous les conseils qui lui furent prodigués à bord sur les moyens d’éviter les bancs de sable. Comme l’observe l’auteur, « C’était à se demander si son arrogance et son aveuglement ne l’emportaient pas sur son incompétence » (p. 36). Le plus délicat était qu’en dehors du capitaine, l’équipe dirigeante était très expérimentée, mais le capitaine ne voulait pas le reconnaître en les écoutant.

 

Troisième élément, la non prise en compte des crises antérieures.

 

Dans la zone de l’échouage, et au cours des 25 années précédentes, il y a eu au moins 30 navires qui s’échouèrent au même endroit. Moins d’une année plus tôt, un navire américain s’y était échoué et tout ceci était connu. Mais, une fois de plus, le sentiment que la crise n’arrive qu’aux autres a prévalu.

 

Au moment où le navire s’échoue, rien n’est encore compromis et selon le récit des survivants, il suffisait de lester le navire, par exemple en jetant les canons à bord, pour alléger la frégate et lui permettre de se dégager. Mais le capitaine refusa sous prétexte qu’on ne jette pas à la mer les canons du roi, mais, comme l’observe Jonathan Miles, « sans comprendre que la frégate, elle aussi, appartient à sa Majesté ». Savoir quoi perdre pour sauvegarder l’essentiel est là aussi un paramètre incontournable.

 

Les vagues devenant plus fortes et la frégate échouée menaçant de se briser, les matelots contruisent un radeau où monteront 147 personnes pendant que le capitaine et quelques membres d’équipage se refugient dans un canot presque vide. Au départ, le radeau était amarré au canot qui contenait l’essentiel des victuailles, puis un marin à bord du canot souleva une hâche et l’abatit sur le cordage, le radeau était abandonné en pleine mer. Seuls 15 survivront sur les 147 et 5 décédèrent dans les mois qui suivront.

 

En 1816, c’est le roi Louis XVIII qui règne et son ministre de la police, Elie Decazes, ne veut pas que cette affaire serve à critiquer la royauté et ses décisions, notamment celle d’avoir nommé un capitaine aussi incompétent. Mais l’affaire sera relancée en 1817 avec la publication du récit de deux survivants « Le naufrage de la frégate La Méduse », qui pointe à charge le commandement du bateau. Mais c’est vraiment la toile de Géricault peinte en 1819 qui relancera l’affaire. Cette toile immense, réalisée en neuf mois dans une intense concentration (son élève devait porter des pantoufles), au milieu de débris humains, et après s’être méticuleusement documenté auprès d’un survivant, immortilisa l’événement, même si les autorités s’évertuèrent à le nommer simplement « Scène de naufrage » pour enlever toute connotation à l’échouage de La Méduse.

 

Dernier enseignement, l’affaire s’inscrit dans un champ de force, elle devient un élément d’une confrontation entre royalistes d’un côté qui s’évertuèrent à étouffer l’affaire, et libéraux et bonapartistes de l’autre. Derrière l’événement, c’est l’autorité politique en place qui est en débat et notamment dans cette affaire où en filigrane se dissimulent la pratique contestable de la traite des Noirs et particulièrement depuis le Sénégal. Géricault mourra peu après, en janvier 1824, à l’âge de 32 ans. Sa tombe est désormais située au Père Lachaise.

 

Le Radeau de la MeduseC’est grâce à lui et aux récits des survivants qui seront lourdement harcelés que le scandale de La Méduse est vraiment apparu. Les procédures de l’Ancien Régime seront critiquées et les ultras disparaitront de la scène politique. Derrière les différentes versions présentées par les récits de ce naufrage, c’est par une image que toute la violence de cette catastrophe marquera durablement les esprits, ce qui, ici également, prouve l’importance majeure de l’image en pétriode de crise.

 

Jonathan Miles. Le radeau de La Méduse, Editions Zeraq. 310 pages. 2015.

 

Un bel article de Philippe Thirion sur le même sujet paru dans la magazine de la communication sensible et de crise : L’art et les crises, l’affaire du radeau