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La lettre Mansholt

Dans mon ouvrage Des vents porteurs paru en 2020, je m’étais attaché à quelques ouvrages anciens. Ceux-ci, rédigés par Roger Heim (1952), Rachel Carson (1962), Jean Dorst (1965), Barry Commoner (1968), avaient la particularité d’être de forts signaux d’alerte sur la situation environnementale et particulièrement documentés sur des bases scientifiques.

 

 

Dans les alertes non entendues, il nous faut donc ajouter la lettre Mansholt de 1972. Sicco Mansholt était alors Vice-Président de la Commission des Communautés Européennes. Il avait eu connaissance des projections du Club de Rome dont le rapport devait paraître quelques mois plus tard. Dans sa lettre, il interpelle Franco Maria Malfatti, alors président de la CEE autour de l’idée d’une nécessaire réorientation des politiques de l’Union, le CEE de l’époque ne comptait que six pays et le premier élargissement était prévu l’année suivante.

 

 

La première réaction à la lecture de cette lettre d’une quinzaine de pages est que l’Europe a perdu 50 ans. La préconisation de réorienter la politique européenne dans une perspective environnementalement plus soutenable est clairement exprimée. Dans sa lettre, il demande une « réorientation radicale de la politique », une « forte réduction de la consommation de biens matériels », « la prolongation notable de la durée de vie de tous les biens d’équipement, en prévenant le gaspillage », (c’est écrit en 1972, alors que les actions contre l’obsolescence programmée émergent seulement depuis l’avis du Comité Economique et Social pour lequel j’avais été rapporteur, le 17 octobre 2013).

 

 

Sicco Mansholt écrit que la société de demain ne pourra pas être axée sur la croissance et qu’il convient de se préoccuper davantage des générations futures (là aussi, bien avant la généralisation de l’expression en 1987 avec le rapport Brundtland). Il prône un nouveau système de production basé sur une économie en circuit fermé qui ressemble fort à ce que nous connaissons actuellement sous l’idée d’économie circulaire. Il prône également une plus grande attention aux pollutions, notamment celles liées à l’utilisation des pesticides.

Cette lettre est complétée par une belle introduction de mise en contexte par Dominique Meda, la reproduction de la réaction de Georges Marchais alors président du Parti Communiste français et qui s’insurge contre cette tentative de réduire le bien-être des salariés européens et par deux retranscriptions de conférences et d’interviews. J’ai été intéressé de constater que lors d’une conférence à laquelle participait Herbert Marcuse en juin 1972, celui-ci observait déjà : « Aujourd’hui, il n’y a guère de publicité qui n’exhorte à sauver l’environnement. »

 

 

J’ai eu trois réactions à la lecture de cet ouvrage :

  • D’abord, le constat qu’à l’époque, la variable clé était celle de la démographie, le monde comptait 3,5 milliards d’êtres humains et anticipait 7 milliards en 2000. Ce sujet semble relativement disparu, notamment parce que les projections apparaissent désormais stabilisées.

  • Ensuite, je me suis interrogé sans trouver la réponse, sur le fait que Sicco Mansholt a écrit cette lettre en février 1972 et que lorsqu’il prit ensuite la Présidence de la Commission Européenne, aucune de ses idées ne semble avoir été appliquée.

  • Enfin, j’ai du mal à expliquer que les interrogations sur la nécessaire sobriété, la durabilité des produits, l’économie circulaire, aient pu à ce point disparaître durant tant d’années pour ne réapparaître que récemment.

A l’époque, le sujet du dérèglement climatique n’était pas pris en compte, mais sur tous les autres sujets environnementaux, les conclusions issues des modélisations du MIT, étaient indiscutables. Voici une nouvelle illustration, s’il en était encore besoin, que l’information en soi ne peut être à elle seule un déterminant de nos actions.

 

 

La Lettre Mansholt. 1972, Institut Veblen, Les petits matins, 80 pages, mai 2023