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Ces cassandres qu’il faut savoir écouter

Thierry Portal et Christophe Roux-Dufort, Prévenir les crises. Ces Cassandre qu’il faut savoir écouter, Armand Colin, 320 pages.

Constitué de vingt-huit points de vue d’experts venant de tous horizons, cet ouvrage est consacré aux signaux faibles en tant qu’annonciateurs de crises. Le haut niveau des intervenants sollicités (Karl Weick, Patrick Lagadec, Elie Cohen, Nassim Nicholas Taleb, …) et la diversité de leurs points de vue rend ce livre passionnant, même si l’on aurait apprécié une synthèse finale. Loin de se lancer dans une apologie du signal faible, le livre en montre toute la complexité et comme le disent les responsables du projet : « Il est ainsi toujours plus aisé d’attribuer des signes préalables à un événement dont on connaît ou redoute le résultat final. » (p. 15),

Il conviendrait d’abord de pouvoir le repérer et l’isoler, de pouvoir le qualifier tant dans sa potentialité de se transformer en crise que d’en prévoir son impact, d’autant qu’une crise est toujours la conséquence d’une série d’événements non réductibles à une causalité unique. Détecter un signal faible impliquerait de pouvoir également imaginer d’autres chaînes causales et leur téléscopage.

Par ailleurs, le signal faible peut également ne rien impliquer et « ne présage pas automatiquement d’une crise » (p. 32).

Parmi les contributions, j’ai apprécié celle de Bertrand Robert qui insiste sur l’aspect psychologique « la clé du sujet n’est pas d’ordre technique ou organisationnel, mais une affaire de peur » (p. 85). Celle de Gérald Bronner qui montre la complexification croissante de détection des signaux faibles à l’heure de la surcharge informationnelle, d’Alexandre Rayne observant que la difficulté tient moins à la détection des signaux faibles qu’à leur prise en compte par les dirigeants à qui ils sont transmis, ce que confirme Dominique Bourg « la force ou la faiblesse du signal ne tient probablement pas tant à ses qualités intrinsèques qu’à sa condition de réception. »

Il remarque également qu’il est souvent délicat d’apparaître comme un prophète de malheur au sein d’une organisation en raison de la pression des groupes.

Elie Cohen et Michel Anglietta déclarent que les signaux de la crise des subprimes de 2008 étaient d’une exceptionnelle clarté, ce qui n’a pas pu empêcher la crise d’éclater, faute de prise en compte.

Le rôle des médias est analysé par Rémy Rieffel. Selon lui, les journalistes ont un rôle majeur qui est contraint par les logiques de rentabilité économique qui prévalent désormais dans la plupart des médias.

Pierre Rossel, après voir évoqué l’absence de prise en compte des signes avant-coureurs chez Nokia et l’arrivée des smartphones ou de Kodak et de Polaroïd avec l’arrivée du numérique, estime indispensable de recourir à un « principe de diversité » (p. 260) afin de pouvoir intégrer une sensibilité à l’influence des multiples facteurs, parfois contradictoires.

En conclusion, René Amalberti met en lumière les illusions du concept. Selon lui, un signal faible est toujours un jugement de valeur et « l’hypothèse selon laquelle les signaux faibles précèdent toujours la catastrophe n’est pas prouvée » (p. 288). Claude Gilbert pose quant à lui une intéressante question : pourquoi s’intéresser aux signaux faibles alors que les signaux forts ne sont eux-mêmes pas entendus … La question a le mérite d’être clairement posée. C’est tout le mérite de Thierry Portal et Christophe Roux-Dufort d’avoir pu présenter l’extrême complexité du sujet.