A green and global Europe

Une Europe verte et ouverte sur le monde. Notes de lecture sur le livre de Nathalie Tocci. Polity. 2023.

 

Nathalie Tocci est directrice de l’Institut des Affaires Internationales, un think tank basé à Rome, elle est également professeure honoraire à l’Université de Tubingen et conseillère du haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires internationales.

A green and global Europe. Polity. 2023. 214 pages.

Dans son dernier ouvrage, elle décrit la transformation de l’UE en lien avec les enjeux climatiques. Le lien est constant avec les questions énergétiques puisque l’énergie compte pour 75 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe. La transition énergétique n’est pas un phénomène nouveau, l’Europe a déjà connu la transition du bois vers le charbon (1790 – 1845), du charbon vers le pétrole (1865 – 1930). Les trois différences avec l’époque actuelle sont d’abord que l’origine est politique et ne résulte pas d’une rupture technologique, ensuite il ne s’agit plus d’ajouter une nouvelle énergie à d’autres plus anciennes, mais d’entrer dans une logique de substitution, et surtout parce que nous avons une échéance, parvenir à zéro émission d’ici moins de 30 ans.

 

 

L’Union Européenne représente 8 % des émissions globales contre 28 % pour la Chine et 14 % pour les Etats-Unis. Cela signifie que notre réussite ne sera effective qu’à condition d’être le premier continent à émission zéro et aussi et surtout de faire en sorte que le reste du monde suive. Et cela n’est pas gagné car l’Europe ne dispose pas d’une réelle diplomatie climatique. Nathalie Tocci compare ainsi la situation du Danemark qui compte douze personnes sur les enjeux climat-énergie au sein de son ministère des affaires étrangères et celle de l’UE qui ne dispose que de six salariés sur le sujet à l’intérieur du service européen pour l’action extérieure.

 

 

Cela n’empêche pas l’Europe d’avoir un vrai leadership en matière climatique. Celui-ci s’est construit au moment du sommet de Rio en 1992 et il s’est concrétisé en 1997 lors du protocole de Kyoto. La montée en puissance s’est effectuée après 2009 avec le traité de Lisbonne (article 194) qui place le sujet énergétique dans les attributions de l’UE.

 

 

Un des jalons majeurs et le Green deal en 2019 qui fixe un objectif de neutralité carbone en 2050, un engagement de réduction des émissions de 55 % d’ici à 2030, un engagement de 40 % des investissements de relance post Covid lié à la transition écologique et des montants de financements jamais envisagés auparavant. Le Green deal représente également la première tentative internationale d’aller au-delà des seuls engagements en s’appuyant sur un plan d’action avec des outils et cibles bien délimités. L’auteure montre aussi la cohérence des textes à l’exemple du plan « Fit for 55 », ses treize programmes d’engagements et le relèvement de son ambition à l’exemple de l’extension de l’ETS à de nouveaux domaines comme le transport, le bâtiment, l’aviation ou la marine.

La relation aux citoyens est l’objet d’une forte attention afin d’éviter le décalage, apparu en France lors des gilets jaunes, entre les aspects sociaux et environnementaux. La Pologne devrait ainsi être un des principaux bénéficiaires du Fonds pour une Transition Juste et permettre la reconversion de 115 000 salariés dans les mines de charbon. Ce fonds et le Fonds Social pour le Climat ont pour objectif l’acceptabilité sociale des mesures du Green deal. Cela nécessite toutefois une reformulation du récit européen et un engagement vers un storytelling positif et attractif sur la nouvelle vision européenne.

 

 

  • Les incidences géopolitiques

Ce nouvel axe de la politique européenne est également une opération de légitimité et spécialement dans le contexte de la guerre en Ukraine. L’Europe peut retrouver son indépendance énergétique et mieux être en phase avec les attentes des citoyens.

Nathalie Tocci examine la transition verte au regard de la guerre en Ukraine et note qu’à la veille de la guerre, 60 % de nos importations russes concernaient le secteur énergétique et particulièrement le gaz. Cela a fortement contribué à la prise de conscience de la nécessité de réduire nos liens fossiles avec la Russie et à court terme cela implique de les augmenter avec d’autres pays comme les Etats-Unis, l’Afrique ou les pays du Golfe. Il faut être conscient que l’arrêt de nos importations énergétiques de Russie entraîne une réorientation géopolitique, la Chine devient ainsi un importateur de premier plan pour la Russie, ce qu’elle est déjà à hauteur de 15 % pour les importations de gaz russe.

 

 

Parmi les nouveautés, la taxe carbone aux frontières (CBAM : Carbon Border Adjustment Mechanism) sera appliquée au secteur électrique, au ciment, acier, aluminium et quelques autres. Elle poursuit deux objectifs : celui d’éviter la décarbonation importée en empêchant les entreprises de localiser leurs émissions de carbone en dehors des frontières de l’Union, et celui d’éviter un désavantage commercial pour les entreprises européennes concernées par une hausse du prix du carbone. Selon les estimations, les pays qui seraient les plus pénalisés par le CBAM seraient la Chine, la Russie et la Turquie. La Corée, l’Inde et le Brésil seraient aussi fortement impactés, ce qui conduit l’auteure à faire une mise en garde sur les possibles guerres commerciales engendrées par une application trop brusque de la taxe carbone aux frontières. Pour faciliter l’acceptabilité, il est recommandé d’utiliser les recettes du CBAM pour accroître les fonds climats destinés aux économies les moins développées. C’est d’ailleurs une thèse centrale de ce livre ; la transition écologique ne peut se faire dans une Europe autarcique. De plus, la densité de la population en Europe conjuguée à l’accroissement du syndrome Nimby ne permettrait pas l’installation dans l’UE de toutes les capacités renouvelables dont nous aurions besoin pour atteindre nos objectifs de neutralité carbone.

 

 

La transition écologique et énergétique aura des effets sur le mode de production du seul fait que les énergies renouvelables sont plus abondantes et mieux réparties. Les marchés seront moins oligopolistiques et feront place à des acteurs décentralisés pour des productions locales de faible quantité. Un monde décarboné avec les énergies renouvelables est aussi un monde où l’électricité peut s’échanger localement au lieu d’un transport d’énergie par bateaux sur de longues distances.

 

 

  • La question des matériaux critiques

En lien avec la transition écologique, l’auteure évoque la question des matériaux critiques comme le cobalt ou le lithium et note notre forte dépendance. Par exemple pour le lithium, sur les cinq entreprises qui produisent environ 90 % du total, trois des cinq premières sociétés sont chinoises. Les entreprises chinoises ont également établi un quasi-monopole sur le cobalt en République Démocratique du Congo où se situent près de la moitié des réserves mondiales. De même, la Chine produit les deux tiers des polysilicones utilisés dans les panneaux photovoltaïques. En clair, une Europe décarbonée sans la Chine serait extrêmement chère et probablement infaisable, en tout cas à moyen terme, et cela alors même que la Chine restera encore longtemps un pays dépendant des énergies fossiles, notamment parce que ses centrales à charbon sont relativement jeunes. L’argument d’une dépendance chinoise qui se substituerait à la dépendance des énergies fossiles doit être fortement relativisé : si demain les robinets de gaz et de pétrole se ferment pour l’Europe, cela sera insupportable, mais si notre approvisionnement en cobalt s’arrête, les impacts seront réduits.

Cela ne réduit en rien la nécessité d’un rééquilibrage au vu du déséquilibre actuel. L’Union Européenne produit seulement 1 % des matériaux critiques pour les batteries lithium-ion, 8 % des matériaux transformés et 0 % de l’assemblage final de ces batteries.

Dans une perspective de neutralité carbone en 2050, les importations de lithium devraient être multipliées par 60, celles de cobalt par 15 et celles relatives aux terres rares nécessaires pour les énergies renouvelables, le stockage et les véhicules électriques par 10. On le voit, les enjeux géopolitiques sont également nombreux. Si l’Europe peut viser l’autonomie stratégique, elle ne peut vivre en autarcie ou pour reprendre les propos de la vice-présidente Margrethe Vestager, il s’agira d’une « autonomie stratégique ouverte ».

L’UE ne sera jamais compétitive en raison de sa politique sociale avec des pays comme la Corée du Sud ou la Chine. Elle doit se renforcer là où elle possède des avantages comparatifs (turbines, électrolyse), mais pour le reste, les objectifs de la Cop 21 ne peuvent pas être atteints sans les importations chinoises.

 

 

  • Etats-Unis, nucléaire, inégalités et adaptation

L’Europe, pour réussir la transition écologique, devrait d’abord se tourner vers les Etats-Unis. D’abord parce que ceux-ci n’ont pas de marché du carbone et que le CBAM pourrait devenir un sujet de friction, ensuite et surtout parce que les Etats-Unis pèsent à eux deux 40 % du PNB mondial et 30 % des importations. L’équivalent d’un club climatique transatlantique deviendrait une puissance envers laquelle il serait difficile de résister.

L’auteure note que sur le sujet du nucléaire, les divergences intra-européennes restent vives avec des pays opposés à sa prise en compte dans les énergies décarbonées ; c’est le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark, du Luxembourg et de l’Espagne.

Elle remet également en cause l’argument des pays moins développés pour continuer à utiliser des énergies fossiles pour rattraper leur retard économique. Pour elle, la science du climat ne permettait pas, il y a un siècle, de prévenir les pays développés d’une possible trajectoire industrielle dangereuse pour le climat. Aujourd’hui, il n’y a plus de contestation scientifique sur ce point. En prenant le cas africain, elle reconnaît la formidable injustice d’un continent qui ne contribue qu’à 4 % des émissions globales, mais qui paiera le prix le plus élevé pour les conséquences. Les recherches suggèrent que pour les états les moins développés, l’impact sur le PNB pourrait être de l’ordre de 64 %, avec des pointes à 84 % pour certains, comme le Soudan.

 

 

Nous avons pris du retard sur l’adaptation, considérant que la priorité était de lutter contre le dérèglement climatique et non pas de s’adapter. Ce n’est que depuis plus récemment que nous savons que, même en respectant l’objectif de + 1,5°degré, les effets seront très importants et pourront atteindre une réduction d’un tiers du PNB de nombreux états.

Une Europe verte représente une assurance pour le futur mais aussi un impératif stratégique pour notre sécurité énergétique. Cela créera des emplois, encouragera l’innovation et soutiendra l’industrie par le découplage entre PNB et CO2. Comme le temps est limité, les politiques publiques européennes doivent accélérer le rythme du changement tout en veillant aux aspects sociaux des ménages les plus défavorisés, aux travailleurs du secteur fossile et aux entreprises intensives en consommation de carbone. Une transition perçue comme injuste serait rejetée et deviendrait un épouvantail pour les autres pays. Une transition énergétique réussie en Europe revitaliserait nos économies et nos politiques tout en contribuant à sauver la planète ; un échec marquerait un déclin quasi inexorable. L’enjeu ne saurait être plus élevé.

 

 

Au final, un livre parfaitement documenté sur les moyens d’atteindre la neutralité carbone en Europe et les enjeux, notamment géopolitiques, associés. Mon seul regret est que le titre me laissait croire une analyse plus globale des questions environnementales en Europe (biodiversité, forêts, agriculture, pêche, …) et seule la question énergétique est ici traitée. Mais elle l’est parfaitement, ce qui relativise la petite déception.