Article paru dans « L’Echo » du 13 novembre.

L’effet boomerang de la communication verte Thierry Libaert « Communicating green »

Avoir le verbe vert n’est pas si bien vu que cela.

Le développement durable est le deuxième thème de communication des entreprises. Car dans l’air du temps. Car consensuel. Car vendeur, parfois. Mais mettre en avant cette facette de l’entreprise, c’est aussi prêter le flanc à la méfiance à trop en parler, ça devient suspect , aux critiques si derrière les mots, les actions ne suivent pas , au retour de bâton l’opinion publique est plus sévère en cas de crise. À quelques jours de la conférence internationale « Communicating green » à l’UCL (1), analysons la chose avec Thierry Libaert qui vient de publier « Communication et environnement, le pacte impossible ».

Pourquoi communiquer sur le thème du développement durable peut-il avoir un effet boomerang tout à fait négatif?

e Thierry Libaert On croit souvent qu’avoir une bonne réputation environnementale protège l’entreprise en cas de crise. Nous avons testé ce présupposé. Pour un panel d’individus, on a créé des situations fictives entre une entreprise avec une grosse communication environnementale, prospectus et documents à l’appui, et une entreprise qui communique peu sur le sujet. Le panel a ensuite visionné de faux reportages mettant en scène une crise dans ces sociétés. Le résultat, c’est que la communication sur l’environnement n’est pas un frein à l’intensité de la crise, au contraire car le panel s’est montré plus sévère avec l’entreprise communiquant le plus. Et ce parce qu’il s’est senti trompé, manipulé.

Dans la communication, il y a deux aspects: l’image et les relations publiques. Or quand on analyse le discours des entreprises, on voit qu’il y a une survalorisation de l’aspect image. Le thème du développement durable est utilisé dans la publicité, pas dans des interactions avec les ONG. Alors que le développement durable est le lieu du débat, de l’échange, de la participation des sphères économique, sociale et écologique.

Donc les entreprises se cantonnent encore à recourir à l’environnement comme un faire-valoir plutôt que comme un engagement concret?

e Oui, mais il y a trois éléments à préciser.

1) D’abord, je ne suis pas sûr qu’elles peuvent faire autre chose. Aujourd’hui le discours de l’entreprise est beaucoup moins segmentable par cible: salariés, clients, actionnaires, fournisseurs accèdent à la même information, via le web surtout. Donc l’entreprise doit utiliser des messages communs et acceptables par l’ensemble du public. Et le développement durable en fait partie, tel un plus petit dénominateur commun. C’est un type de message qui peut satisfaire l’ensemble des publics, c’est un argument consensuel.

2) Le temps de faire savoir les actions menées par l’entreprise est un peu passé. Aujourd’hui, l’idée c’est de croire au pouvoir de la communication dans sa capacité prédictive: il faut que la communication ait la capacité de faire advenir ce qui n’est pas encore. C’est-à-dire communiquer une ambition. Or communiquer sur le développement durable, c’est montrer ses ambitions, sa volonté d’avancer.

3) En outre, les indicateurs montrent que le « greenwashing » est en baisse. Car les entreprises se sont fait taper sur les doigts quand elles communiquaient ainsi. C’était, par exemple, le 4×4 « conçu et développé au pays des accords de Kyoto » [slogan pour l’Outlander de Mitsubishi, NDLR] ou ce groupe pétrolier qui tapissait ses pubs d’éoliennes alors que l’énergie éolienne qu’il produisait représentait 0,1&flexSpace;% de sa production totale.

Dans votre livre, vous dressez le constat d’une communication verte en échec. Pourquoi?

e Ce constat renvoie à la construction de réputation: la communication environnementale n’y aide pas. Une chose extraordinaire, c’est que les 100 premières entreprises du classement des entreprises les plus admirées établi par « Fortune » n’utilisent pas le thème du développement durable [on y trouve Apple, Google, Goldman Sachs, Coca-Cola, NDLR]. Et justement, c’est peut-être parce qu’elles n’utilisent pas ce thème qu’elles sont bien vues… Il ne faut pas perdre de vue que la pub ne dit pas quoi penser, mais ce à quoi il faut penser. Et la communication environnementale de certaines entreprises a porté l’attention sur elles. Voyez, il y a 10 ans, l’opinion publique considérait qu’il y avait deux responsables pour les problèmes de développement durable: les pouvoirs publics et les entreprises. Les pouvoirs publics ont peu communiqué sur le sujet, les entreprises beaucoup. Dix ans plus tard, les gens considèrent que le problème du développement durable, c’est l’entreprise.

Quant à la réaction des consommateurs, une étude britannique a constaté que si dans un premier temps, ils disent « oui, je suis attentif aux entreprises responsables », quand on leur demande d’en citer 5, ils sont incapables d’en mentionner une.

Vous préconisez une « slow PR ». C’est-à-dire?

e Slow PR fait référence aux mouvements slow food ou slow design qui cherchent à retrouver une temporalité plus saine. Auparavant, les plans com’ se faisaient sur une perspective de 3 à 5 ans. Aujourd’hui, ils vont de pair avec les plans d’action annuels et les annonces de résultats semestriels. On est dans un temps court qui est de plus en plus celui de l’actionnaire. Avec 46.000 concurrentes — c’est le nombre de sociétés cotées dans le monde — les entreprises sont sur le qui-vive pour conserver leurs actionnaires. Or la communication sur le développement durable doit se réapproprier sa propre temporalité. Quand on parle de développement durable, on parle d’avenir pour la génération suivante. L’échelle n’est pas du tout la même… C’est peut-être pour ça d’ailleurs que communication et environnement, c’est un pacte impossible…

Pourtant, construire une marque ne peut se faire que si on prend le temps de la communication. Les marques les plus fortes sont celles qui communiquent depuis des dizaines et des dizaines d’années sur seulement quelques thèmes, plutôt que de faire des campagnes de réactivité.

Les institutions publiques ou les ONG s’en sortent-elles mieux que les entreprises?

e Le maillon faible, ici, c’est le problème de l’identification: les gens ne se sentent pas concernés par les messages de prévention ou de promotion des comportements écologiques. Quand le message est alarmiste, ils se disent « pourquoi je me sacrifierais pour d’autres qui ne font pas d’efforts ». Et quand il est mesuré, leur réaction c’est: « elle est bien votre campagne, j’espère que les gens vont comprendre ».

La difficulté quand on travaille sur la communication environnementale, c’est de ramener les enjeux aux micro-comportements: en quoi mon action va bien pouvoir jouer sur le protocole de Kyoto? se demandent les gens.

D’après un eurobaromètre, partout en Europe, les gens déclarent que près de chez eux, il n’y a pas de problème d’environnement. Mais plus on augmente le territoire de référence, moins ça va. Ainsi, en Belgique, c’est pas terrible; en Europe, c’est mauvais et dans le monde, c’est la catastrophe. L’échelle temporelle est aussi un frein: pour les Européens, les problèmes d’environnement, ce sera surtout pour les générations suivantes. Donc ils ne se sentent pas concernés. Et enfin quand on leur demande à qui sont dus ces problèmes, ils répondent 1) aux entreprises, 2) aux pouvoirs publics et 3) aux consommateurs, mais les autres consommateurs. En conclusion, les problèmes d’environnement, ce n’est pas ici, pas maintenant et pas moi!

Par quel biais sensibiliser le public, alors?

e Par des messages non pas généralistes, mais concrets. Il faut aussi rendre concrètes les problématiques: une tonne de gaz à effet de serre ou bien la déforestation, les gens ne visualisent pas bien ce que c’est. Tandis que parler d’un terrain de foot déboisé toutes les 10 secondes en Amazonie matérialise le phénomène. Il faut aussi valoriser l’individu, le gratifier et lui montrer ce qu’il a à y gagner. Et surtout, il faut réintroduire l’humain dans les campagnes environnementales: on voit de magnifiques paysages, mais le grand absent, c’est l’homme.

Vous avez eu des expériences très variées: responsable de communication en entreprise, conseiller en communication à la Fondation Nicolas Hulot, collaborateur au ministère de l’Environnement français, etc. Laquelle vous a le plus marquée?

e Le ministère de l’Environnement, en 2004, car j’étais au cœur du cabinet pour travailler sur la stratégie nationale de communication responsable. Cela a été le début des enquêtes que j’allais conduire sur le sujet. Et ce que j’en ai surtout retenu, c’est la marge de manœuvre limitée de l’homme politique, sur l’environnement, par rapport à des attentes assez incroyables. Les gens nous disaient « nous, on est prêts à jouer le jeu, mais on veut que vous montriez l’exemple, on ne veut pas être les dindons de la farce ».

Ce qui a été marquant aussi, c’est l’extrême décalage entre le déclaratif et le comportemental. Par exemple, 90&flexSpace;% des Européens se disent pour le commerce équitable et 50&flexSpace;% de ceux-là déclarent faire des courses équitables. Or, dans les faits, c’est 2 euros par an et par personne qui sont consacrés à des achats du commerce équitable. Les instituts de sondage font en général un correctif de 30&flexSpace;% entre les déclarations et le comportement. l C.B.

Actuellement:

Président du Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication d’Organisation (Lasco — Université de Louvain-la-Neuve).

Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris.

Membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot.

Par le passé:

Il a travaillé en agence de communication, puis comme responsable de la communication au sein d’une des premières entreprises françaises.

Membre de la cellule de veille environnementale du ministère français de l’Écologie (ministère Bachelot).

Collaborateur au cabinet du ministre du Développement durable, Serge Lepeltier (2004).

Il a publié une quinzaine d’ouvrages, dont « La communication verte » en 1992 considéré comme l’un des pionniers sur ce thème.

Organisée par le Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication des Organisations (Lasco), la conférence internationale « Communicating Green » aura lieu les 18 et 19 novembre 2010 en présence de professionnels de la communication, d’académiciens, de chefs d’entreprises ainsi que d’agences de communication. Les orateurs présenteront les résultats d’études menées sur les méthodes et les pratiques utilisées par les organisations et les entreprises dans leurs discours en matière d’environnement.

Les actes du colloque seront publiés dans un numéro spécial de la revue scientifique « Recherche en communication ».

Programme complet sur: www.uclouvain.be/309350.html

Lieu: IHECS, rue de l’Étuve 58-60 à 1000 Bruxelles

Contact: Audrey Crucifix / audrey