Interview sur « communication & Environnement »: les points saillants

Itw diffusé sur le site de l’agence Vedacom. Février 2011.

« Il me semble primordial que le dialogue fasse son apparition dans la communication environnementale »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thierry Libaert, expert en communication des organisations

Pavé dans la mare sorti fin 2010, le nouveau livre de Thierry Libaert  »Communication et environnement, le pacte impossible » interpelle par son titre et sa 4e de couv : « le développement durable a été créé par la communication des entreprises pour ré-enchanter l’économie et fournir un thème consensuel sur nos modes de développement. A partir de nombreux travaux scientifiques internationaux, cet essai démontre que la communication sur le développement durable, loin de relégitimer la place de l’entreprise, engendre des effets pervers qui vont bien au-delà des attaques en greenwashing. »

De quoi nous donner envie d’en savoir plus…

VedaCom : vous venez de publier Communication et environnement, le pacte impossible. Pourtant j’ai le sentiment que les entreprises se sentent attendues sur la thématique du développement durable en interne comme en  externe… pourquoi ce livre ?

Thierry Libaert : Je suis parti d’un constat : la difficile communication entre la sphère communicationnelle et le secteur du Développement Durable. Dans mes réflexions, je me situe entre les modes d’emploi et la dénonciation.  Depuis mon arrivée dans un centre de recherche en communication, le LASCO (Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication d’Organisation) qui dépend de l’Université de Louvain, je suis effaré de l’ampleur des connaissances et des acquis de la recherche académique. Cette ressource est souvent peu connue des praticiens.  J’ai aussi souhaité avec ce livre mettre à la disposition des communicants les travaux de la recherche sur la communication environnementale.

VedaCom : Vous pensez que la communication environnementale peut se retourner contre celui qui l’utilise. Comment en est-on arrivé là ?

Thierry Libaert : Je vois essentiellement 2 raisons.

  • L’idée du plus petit dénominateur commun : le secteur environnemental est l’un des rares thèmes accessible par toutes les cibles. Chacun peut y projeter ses attentes. Pour les clients, choisir une marque qui s’exprime sur le développement durable valorise l’acte de consommation par exemple. Les plans d’économie des financiers peuvent aussi être justifiés par les démarches RSE. C’est presque devenu une solution miracle…
  • L’utilisation de la communication environnementale comme image réputationnelle. On a l’impression d’assister à un concours de beauté environnemental. Les entreprises ont pris le tournant environnemental dans l’objectif d’améliorer la réputation auprès des consommateurs en oubliant les bases du développement durable : le dialogue et l’échange, la confrontation et l’ouverture.

VedaCom : Quel lien voyez-vous entre la communication et les 3 piliers du DD ?

Thierry Libaert : Comme j’avais tenté de le démontrer en 2003 dans mon ouvrage La transparence en trompe l’œilla communication est pour moi le 4e pilier du développement durable. Sur quoi reposerait le développement durable si ce n’est sur la communication entre les sphères économique, sociale et environnementale ? C’est d’ailleurs, l’étymologie même de Communicare, c’est-à-dire la mise en commun, idée indiquée également dans la démarche de regroupement de domaines jusque-là pensées distinctement.

Dans une perspective plus opérationnelle, la communication apparaît de plus en plus incontournable dans le développement durable. La raison principale réside dans la reconnaissance des principes de communication dans la mise en œuvre effective des principes du développement durable avec 2 mots-clés : la participation et la transparence. Au niveau européen, la charte d’Aarhus conclue par les Etats européens en 1998 se référait directement à l’obligation de transparence. En France, l’article 7 de la Charte de l’environnement (2005) reconnaît le droit d’accéder aux informations « et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Dernièrement, lors du colloque pour les 20 ans de la Fondation Nicolas Hulot,  Tim Jackson a exposé sa vision de la prospérité sans croissance où la participation est centrale.

VedaCom : Cela signifie-t-il que toute communication environnementale devrait être abandonnée ?

Thierry Libaert : Le problème se pose différemment. Pour quelle raison les entreprises communiquent-elles sur leur démarche environnementale ?Certaines d’entre elles pensent que la communication environnementale peut ré-enchanter leur image. Or si l’entreprise a déjà une bonne image globale, on lui prête une bonne image eco-citoyenne. Croire que l’image environnementale protège particulièrement en période de crise est fausse. Le décalage entre le discours de l’entreprise et ses actes en matière de RSE est même amplifié. L’autre question est comment le fait-on ? Si l’on réalise un blind test sur les thèmes développement durable des différents journaux d’entreprises, on ne reconnaît souvent même pas de quelle organisation il s’agit. Le développement durable a préempté une image – celle de la Terre vue du ciel-, une couleur – le vert-, des adjectifs mémorisables –équitable, viable et vivable. Tout se ressemble, les discours sont homogènes d’une entreprise à une autre. Le mot contradiction est oublié.

VedaCom : Est-ce également le cas sur Internet ?

Thierry Libaert : Outil d’interactivité par excellence, Internet s’inscrit parfaitement dans l’idée de dialogue présent dans les démarches RSE. Il est également l’outil de prédilection pour rechercher des informations sur le développement durable pour 76% des Français. On pourrait donc s’attendre à ce que les rubriques RSE des sites soient interactives. Pourtant, il n’en est rien. L’information est unilatéralement descendante notamment sous forme de graphiques ou de documents téléchargeables. Tandis que les rubriques financières se révèlent beaucoup plus interactives proposant des rencontres virtuelles, des chats, des forums, une adresse mail pour les contacts… Les rubriques RSE des sites sont avant tout conçues comme une vitrine au service de la réputation.

VedaCom : Quelles pourraient être les pistes d’une communication plus durable ?

Thierry Libaert : Il me semble primordial que le dialogue s’amplifie dans la communication environnementale, que les communicants soient moins basés sur l’image mais sur plus de relationnel, que l’entreprise s’ouvre… avec dans les conseils d’administration, un représentant d’une ONG par exemple. Il faut réintroduire le débat sur l’environnement au coeur même de l’entreprise, que les différentes parties travaillent ensemble, définissent des pistes d’actions communes. Et c’est seulement lorsque les actions sont réalisées que l’entreprise sera légitime dans sa prise de parole.  Elle peut alors communiquer sur ses réalisations plutôt que sur des engagements de moins en moins crédibles. Tout en restant humble, bien sûr. Dernier conseil : s’éloigner de la langue de bois… pour un discours concret révélateur de la démarche de l’entreprise.