La Communication verte, 20 ans après

En 1992, j’avais rédigé le premier livre francophone sur la communication environnementale, la commercialisation de cet ouvrage s’est arrété en 2001, et en 2007, l’OIC (Observatoire International des Crises) l’a mis en ligne sur son site. A cette occasion, j’en avais rédigé un avant propos. Parlant de communication environnementale en décembre 2010, je trouve toujours interessant de relire les 1ers textes.

Préface à l’édition en ligne 2007

 Lorsque j’ai publié en 1992 l’ouvrage La communication verte, celui-ci a bénéficié du contexte de l’époque marqué par la réunion à Rio de Janeiro du premier sommet de la terre considéré aujourd’hui comme le point de départ d’une gouvernance internationale de l’environnement. L’ouvrage étant désormais épuisé en librairie et comme je recevais régulièrement quelques demandes, majoritairement d’étudiants, pour connaître les moyens de se le procurer, j’ai décidé, 15 ans après, de le mettre en ligne de manière intégrale.

Je pense que la deuxième partie, notamment celle sur les acteurs, est devenue obsolète et plusieurs réflexions sur le positionnement ou la communication interne demanderaient une réécriture. Je pense toutefois plus utile de laisser l‘ouvrage dans son contenu initial afin de le considérer pour ce qu’il était, la première réflexion francophone sur la relation communication / environnement / entreprise et pour ce qu’il est devenu ; une préfiguration de la communication liée au développement durable, aujourd’hui thème majeur de la communication des entreprises.

Dans cet ouvrage et autour des trois thèmes – communication, environnement et entreprise – j’ai d’abord cherché à montrer l’accélération de la prise en considération de l’environnement par l’entreprise par une classification autour de quatre époques.
· Une première étape qui débute à l’origine de la révolution industrielle jusque vers les années 1967-68 où l’environnement est absent des préoccupations industrielles,

·   Une époque de prise de conscience embryonnaire entre 1967–68 et 1974 qui se traduit par le premier ministère de l’environnement, le rapport du Club de Rome, les premiers services environnement en entreprise,

·  Une période de réaction entre 1974 et 1986 où se met en place l’essentiel de la réglementation environnementale et la majorité des services environnement en entreprise,

·  Une époque que je fais débuter en 1986, date de Tchernobyl, première catastrophe réellement internationale. Cette période qui court encore aujourd’hui marque un changement d’approche par l’entreprise du facteur environnemental.

Trois paramètres expliquent ce changement d’attitude :

·   La conviction que l’environnement est une donnée économique et sociale majeure et durable et non un phénomène de mode,

·   La perception qu’il est préférable d’agir de manière volontariste, voire offensive afin d’éviter toute réglementation ultérieure imposée,

·   La découverte que l’environnement, s’il représente fréquemment une contrainte économique et financière, peut, s’il est intelligemment analysé, représenter également pour l’entreprise une opportunité concurrentielle majeure.

La communication environnementale apparut en conséquence de ces trois paramètres. L’entreprise pouvait communiquer sur ce thème car il répondait à une préoccupation durable majeure, il permettait à l’entreprise de « faire savoir » son action en ce domaine et il lui permettait un positionnement concurrentiel.

J’ai ensuite cherché à définir les acteurs de cette communication environnementale. Le rôle des pouvoirs publics et des élus, celui des associations, des médias en m’appuyant alors largement pour les médias grand public sur les travaux de Pierre Lascoumes [1] et sur celui des relais d’opinion.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, je me suis attaché à analyser trois domaines de communication environnementale.

Tout d’abord, la communication directement axée sur l’avantage marketing de l’écologie intégré au produit. C’est en effet par le marketing écologique que la communication environnementale est apparue en France. Plus précisément en 1989 après que le groupe Henkel a racheté la marque Le Chat et décidé de lui donner un positionnement environnemental. « Une propreté éclatante est une contribution à la protection de l’environnement ». La polémique qui suivit en raison de la justification de la promesse (l’absence de phosphates), la contre-offensive de Rhône-Poulenc alors premier producteur de phosphates et surtout les résultats financiers obtenus (5 % de parts de marché) entraînèrent un véritable choc dans l’ensemble du milieu industriel. Celui-ci constata d’abord les potentialités économiques d’un positionnement vert mais aussi la nécessité d’une communication soigneusement délimitée en raison d’un effet boomerang potentiel.

Je disais à l’époque que ce n’était pas un hasard si c’était dans le milieu des lessiviers, supposé être la meilleure école de marketing, que naquit la communication environnementale dans laquelle allait ensuite se retrouver la quasi-totalité des secteurs économiques.

Au début des années 90, l’environnement est parfois apparu comme une poule aux œufs d’or, en raison d’une croyance en un triangle magique :

·   La réduction des coûts de revient par les économies réalisées sur la conception du produit (matières premières, énergie, emballage,…),

·   Le marché considérable ouvert par ce positionnement puisque chacun se sentirait impliqué,

·   La possibilité d’accroître les prix de vente puisque le consommateur annonce son intention de pouvoir payer plus cher des produits réputés « propres ».

L’attrait théorique principal du schéma de la communication environnementale est qu’elle place chaque acteur dans une situation gagnant – gagnant puisqu’aux côtés de l’entreprise, le consommateur se voit lui valorisé par l’acte d’engagement psychologique qu’il réalise par sa pratique consumériste et que traduit l’adage américain « be part of the solution ».

J’ai essayé de distinguer les bases de la communication marketing et ses transformations, notamment sur l’unique selling proposition.

Je me suis ensuite attaché au domaine du mécénat environnemental, alors en pleine progression. J’ai tâché d’en analyser les spécificités et notamment deux d’entre elles :

·   L’objectif de relationnel. Il est généralement assigné deux objectifs au parrainage, l’image et la vente. Le mécénat vert ouvre un nouvel objectif, celui de relationnel car il permet l’établissement d’un dialogue entre deux mondes qui s’ignorent et se méfient l’un de l’autre ; l’entreprise et le milieu associatif.

·   L’objectif de durée puisque le mécénat environnemental permet une communication APA : avant l’événement, pendant et ultérieurement (opération bilan après un reboisement ou la réintroduction d’une espèce animale).

J’ai essayé de proposer certains principes d’action, notamment sur les velléités de « récupération » écologiste sous couvert de financement.

Le troisième domaine est celui de la communication interne « verte », c’est–à-dire sur les modalités de cette communication vis-à-vis des salariés. J’ai cherché à démontrer qu’elle était un outil de consensus social, de mobilisation interne, voire de fierté d’appartenance.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, j’ai analysé le positionnement institutionnel de l’entreprise et proposé une démarche d’élaboration d’un schéma de communication basé sur l’environnement. Je voulais alors démontrer que la communication verte n’était pas un domaine réservé à quelques entreprises « à risque » mais que chaque secteur d’activité pouvait être concerné, et qu’au sein d’une entreprise, chaque métier avait une responsabilité. En termes de cible et message, je voulais démontrer que l’environnement était fédérateur puisque chaque socio-style, pour reprendre les termes de Bernard Cathelat qui préfaça l’ouvrage, était impliqué par la thématique environnementale, même si pour chacun sa propre représentation pouvait grandement évoluer.

Enfin, je préconisais une adaptation des moyens au travers des chartes et plans environnement d’entreprise, une communication discrète, par la preuve, argumentée. Je concluais sur la communication de crise environnementale avec la perception que l’environnement formait (avec la santé avec qui il est lié) un des domaines où la crise est particulièrement propice.

Ma conclusion générale portait d’abord sur la durabilité de la communication environnementale : « La vague verte ne retombera pas » [2] et sur son aspect prédictif, la communication possède un rôle d’entraînement propre à faire advenir les objectifs poursuivis. Elle portait également sur les limites de la communication (et donc de l’action) en prenant exemple sur les espèces animales pour lesquelles les entreprises pourraient investir.

Le relire après 15 ans amène un sentiment étrange où l’on s’aperçoit d’une certaine lenteur de la prise de conscience écologique. Je n’ai pas un mot à enlever à la description que je faisais alors de l’effet de serre, de ses causes et de ses conséquences probables.

Cet ouvrage a obtenu la médaille de l’Académie des Sciences Commerciales en 1993. Sa diffusion a été arrêtée en en janvier 2001 après 3.000 exemplaires vendus.

Il a fait l’objet d’excellentes retombées presse présentées en fin de ce livre[3]. Il a été reconnu comme le premier travail d’analyse sur la communication environnementale, notamment lors d’un colloque de l’Unesco où un intervenant, Laurent Bayoma Assale de l’Université de Yaoundé a noté que : « C’est par la notion de « communication verte » forgée par Thierry Libaert que l’on a pris conscience de la communication environnementale ». Dans son ouvrage La communication environnementale[4], Jacques Vigneron situe mon travail parmi « les premières synthèses essayant de faire ressortir les spécificités de la communication environnementale ». Outre Jacques Vigneron, un troisième auteur aura tenté ultérieurement de défricher le sujet, Michel Ogrizek en 1993 dans l’ouvrage Environnement et communication (Apogée).

J’ai depuis tenté de défricher d’autres sujets, mais la communication environnementale reste un de mes centres d’intérêt majeurs. J’ai taché de prolonger cette réflexion récemment dans l’ouvrage Entreprise et environnement, pour en finir avec les discours co-rédigé avec Dominique Bourg et Alain Grandjean et préfacé par Nicolas Hulot, et dans quelques articles. Ces articles sont disponibles – gratuitement – sur mon site Internet.

Thierry Libaert

Février 2007


[1] : Pierre Lascoumes, L’environnement entre nature et politique : un patchwork mal cousu, Gapp – CNRS, Octobre 1991

[2] : p. 203

[3] : disponibles sur http://tlibaert.info

[4] : Jacques Vigneron, Laurence Francisco, La communication environnementale, Economica, Poche Environnement, 1996, p. 21