Les fossoyeurs de la communication de crise

Une communication de crise à bout de souffle

 

J’ai acheté la nouvelle édition du livre de Victor Castanet, Les fossoyeurs, consacré au scandale ORPEA, avec l’idée de lire seulement les nouveaux chapitres qui portent sur la réception de l’ouvrage et les manœuvres mises en place par ORPEA pour minimiser les attaques. C’était cet angle « Communication de crise » qui m’intéressait plus particulièrement.

Toutefois, après avoir commencé la lecture des premières pages, il m’a été impossible de décrocher tant l’ouvrage est passionnant de bout en bout. Mes premières réactions furent d’abord un effroi devant la situation des EPHAD (ma mère est dans un EPHAD, heureusement très bien), et l’incompréhension sur le fait qu’un tel système ait pu prospérer en l’absence de tout contrôle des autorités de santé. On peut s’interroger si, en l’absence de cette enquête journalistique, le système n’aurait pas perduré longtemps.

 

Dans les dix nouveaux chapitres, l’auteur revient sur les manœuvres utilisées pour réduire l’impact du livre. Ont ainsi été employées :

 

  • Des faux-nez prétendument journalistes pour récupérer le manuscrit avant la publication,
  • Des sondages soigneusement élaborés pour promouvoir une perception positive dans les EPHAD et publiés la veille de la sortie du livre,
  • Des tentatives de dénigrement par la propagation de désinformations envers les personnes ayant collaboré à l’ouvrage,
  • Des manipulations de vote en ligne afin d’orienter des résultats sur la perception du livre lors d’émissions en direct où l’avis des téléspectateurs était recherché.

Après avoir tenté de faire pression sur les journalistes, la stratégie de communication du groupe ORPEA sera de nier en bloc : « Nous contestons formellement l’ensemble de ces accusations que nous considérons comme outrageantes et préjudiciables », avant d’évoluer, en raison de l’évidence des faits, vers une posture plus raisonnable.

 

Le livre reposé, je me suis fait trois observations :

  • D’abord, la stratégie de communication a été élaborée par Image 7, l’une des plus importantes agences de communication de crise. Et pourtant, tout ce qui a été réalisé est contestable, non seulement d’un point de vue éthique, mais en simples termes d’efficacité. Cela donne le sentiment d’une communication de crise à bout de souffle, incapable de se renouveler et s’arcboutant sur les vieux principes de la dénégation ou de la contre-attaque.
  • Ensuite, et je l’ai déjà écrit il y a plus de 30 ans, il ne saurait y avoir de bonne communication de crise sans une bonne communication globale. On apprend dans ce livre que la communication était totalement verrouillée par les dirigeants et que seule la communication financière faisait l’objet de toutes les attentions. Une entreprise ne peut conduire avec efficacité sa communication de crise sans réflexion préalable sur sa stratégie de communication vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes.
  • Enfin, le livre apporte une nouvelle confirmation de l’impact financier de la réputation. A peine quelques heures après la parution des premières révélations dans Le Monde, le titre ORPEA baisse de plus de 16 %, suivi d’une nouvelle baisse de 15 % le lendemain.

Un livre que je conseille et pas seulement à mes amis communicants, avec l’espoir qu’il n’interpelle pas seulement les professionnels de la santé, mais qu’il ouvre aussi la discussion auprès des communicants, « ces professionnels de la gestion de crise dont raffolent les grands groupes industriels » (p. 430).

Victor Castanet, Les fossoyeurs, Edition J’ai lu, 2023, 509 pages, 9,50 €.