Philosophie de la crise écologique

En philosophie de l’environnement, je connaissais surtout Dieter Birnbacher dont j’avais commenté le livre La responsabilité envers les générations futures, sur mon site (https://www.tlibaert.info/dieter-birnbacher/, Hans Jonas et son Principe responsabilité et Philippe Van Parijs dont j’avais adoré La pensée écologiste. C’est sur le conseil de Pascal Durand, le responsable d’EELV que je viens de découvrir Vittorio Hösle et ce livre composé de conférences données en Europe de l’est en 1990. Le livre, paru en 1991, a fait l’objet d’une première traduction en 2009, puis en 2011 chez Payot.

Partant du constat que nous ne parviendrons pas à gérer la crise sans revoir notre manière de penser le monde et qu’une philosophie de l’écologie doit s’appuyer sur la philosophie de l’histoire et des sciences, il s’agit pour l’auteur de redéfinir l’image que nous avons de nous-mêmes et de notre rapport à la nature. Il est également essentiel selon lui de réfuter l’idée que la nature ne serait qu’une construction de l’esprit humain, somme toute très relative, et donc de la résubstantialiser.

De nombreux paragraphes sont consacrés aux « devoirs » envers les générations futures avec des passages parfois discutables, notamment sur l’avortement, «celui qui est convaincu que des embryons totalement déterminés génétiquement n’ont pas droit à la vie, sera peu susceptible d’adapter une attitude responsable face aux générations à venir » (p. 111). Il appelle une reformulation éthique, en regrettant que « si aucune éthique adaptée à l’ère technique et universellement admise n’a vu le jour, ce sont entre autres les églises qu’il faut incriminer » (p. 121).

J’ai bien apprécié ses observations sur le décalage entre le constat partagé de la crise écologique et le manque de réaction des individus qu’il explique par trois facteurs : l’invisibilité des conséquences de nos actions, leur apparition dans le futur,et la conviction que l’action individuelle est dérisoire. Selon Hösle, il est plus utile en matière de sensibilisation de ne pas communiquer sur les conséquences, mais de s’attaquer directement au système de valeur qui valorise nos modes de consommation actuels, il faut viser l’acte, non ses conséquences. En clair, « la réactivation d’idéaux ascétiques » (p. 154) lui semble indispensable.

Pour autant, il appelle une économie de marché écologiste et sociale en faisant -à mon sens-  trop confiance en l’Etat alors que – selon moi – la mondialisation a réduit les capacités d’action étatique; il déclare que la réforme fiscale semble être « le moyen le plus prometteur pour endiguer la destruction environnementale» (p. 151), il espère également un élargissement juridique de la responsabilité vers un «risque de responsabilité», le propriétaire de produits dangereux serait toujours responsable en cas d’impacts négatifs, quelles que soient ses intentions. Au niveau gouvernemental, il suggère que le ministre de l’environnement puisse avoir un droit de veto et estime qu’il faudrait faire rattacher au Parlement « une institution singulière qui représenterait symboliquement les intérêts des générations à venir et ceux de la nature » (p. 180). Enfin, la création d’institutions internationales au plan environnemental dotées d’un pouvoir coercitif lui apparaît nécessaire.

Partisan affiché d’une real-politik écologiste dans laquelle les responsables de demain «devront, dans certaines circonstances, mentir» (p. 190), voire utiliser des techniques manipulatoires, il indique que les moyens doivent être proportionnés à la hauteur de l’enjeu et que, si « la démocratie ne se donne pas les moyens de résoudre elle-même le problème écologique (p. 199) on ne pourra être certain d’échapper à l’arrivée d’une « dictature écologique ».

Au final, un livre passionnant pour lequel mon seul regret est de le découvrir tardivement alors qu’il fut conçu il y a plus d’une vingtaine d’années, au moment où les préoccupations climatiques pouvaient encore être remises en question. Je serais curieux de connaître l’évolution de la pensée d’Hösle depuis 1990 et l’aggravation de la crise écologiste. J’ai apprécié l’immense culture de l’auteur qui traite aussi bien de philosophie que d’économie, de droit, ou d’histoire. Il semble que son ouvrage fondamental soit Morale et Politique qui date de 1997, mais n’a pas été traduit en français.

Vittorio Hösle, Philosophie de la crise écologique, Petite bibliothèque Payot, 224 pages.