Régis Debray : L’Etat séducteur, Les révolutions médiologiques du pouvoir, Gallimard, 1993

Régis Debray : L’Etat séducteur, Les révolutions médiologiques du pouvoir, Gallimard, 1993, 198 pages

Le dernier ouvrage de Régis Debray marque une étape majeure dans sa réflexion sur l’Etat. L’Etat, il le connaît bien, il l’a d’abord combattu, il l’a ensuite servi à l’Elysée en tant que conseiller de François Mitterrand, et après avoir démissionné de toutes ses fonctions officielles, il l’analyse.

L’Etat séducteur est un livre puissant et original qui se situe au confluent des deux grands axes de recherche de l’auteur :

1. La science politique qu’il a notamment analysée dans sa Critique de la raison politique en 1981.

2. La communication et le rôle des médias que nous retrouvons dans son Cours de Médialogie générale dix années plus tard.

Après une société caractérisée par l’oralité de ses relations (la logosphère) puis par le rôle de l’écrit (la graphosphère), nous sommes aujourd’hui entrés dans l’ère de la vidéosphère qui se définit par la vitesse de ses communications, de ses visuels et de ses objectifs : distraire et séduire. Les conséquences sur l’Etat sont considérables. Hier basé sur le contrat, il se fonde aujourd’hui sur le contact. La vidéopolitique a engendré l’Etat Kodak qui doit avant tout occuper le terrain et se montrer. Le militant classique s’efface au profit d’une nouvelle classe politico-médiatique où « la réussite médiatique vaut pour certificat d’aptitude professionnelle ».

Le rôle de l’homme politique évolue, il devient principalement un animateur à qui l’on demande non des actions, mais des prestations. L’important pour lui c’est l’émotion, la charge affective véhiculée, la petite phrase qui passera au journal de 20 heures : « Tout ce qui permet d’échapper au logos est bon. Ce dernier aura tout avantage à se faire voir au concert et à se confier aux caméras. La mélodie et le cliché auront la vertu éminemment politique de le dépolitiser, d’en faire un homme comme vous et moi ». A la limite, l’Etat n’a plus besoin de décider ou d’agir, le message tend à supplanter le donné : « Le gouvernement peut alors sans mauvaise foi croire qu’une réforme est faite pour l’essentiel lorsqu’elle est annoncée ». L’action de l’Etat ne se fait pas à la corbeille, pour paraphraser le Général de Gaulle, elle se fait sur le petit écran.

Régis Debray voit deux explications à ce mouvement. En premier lieu, la perte des grands buts du voyage qui place chacun dans l’incertitude des valeurs et des messages à transmettre : « score d’audience, cote de popularité : indice de confiance, point perdu ou gagné au hit de parade, baromètre mensuel : feux de brume pour navigateurs solitaires. De même les valeurs de contact et de convivialité sont-elles d’autant plus en hausse dans l’imaginaire que le lien social est en baisse dans la réalité vécue ». La seconde est plus technologique : « comme en musique, l’électricité a fait les ondes Martenot, le magnétophone, Schaeffer et la musique concrète, l’informatique, Boulez et Xenakis, l’électronique et le rayon hertzien ont fait Ronald Reagan et le télétat ».

On trouve un peu de nostalgie dans ce constat : « Nos sociologues statisticiens sont les Maurice Barrès de la démocratie. Ils ont remplacé la terre et les morts par le public et ses attentes. Le « champ profond » est devenu « sémiométrie des villes de plus de 200 000 habitants ». Après Marx et Tocqueville, voilà la Sofres ».

La communication se retrouve au centre de la vidéosphère, parfois logiquement « plus on communique, moins on informe » et parfois sans raison : « La plus évidente est la défausse sur le « dircom », grand prêtre fautif. Le problème de communication joue alors le rôle du courroux de Jupiter pour cause de libation incomplète. L’échec politique est imputé à l’erreur technique (ce que nous faisions était bien, mais on n’a pas su communiquer) ou à des malveillances subalternes (pas étonnant, avec ces journalistes-là !) ».

Génial et donc provocant, l’ouvrage est parfois discutable. Il est évident que Régis Debray reste partagé entre sa fascination pour Che Guevara et pour le Général de Gaulle.

Lorsqu’il termine lyriquement son livre « Gestion économique cherche projet de société (….) Moins de physique, s’il vous plaît, et un peu plus de métaphysique ! Nous asphyxions ! Enfoncez les murs d’images, rouvrez avec des mots les fenêtres du grand large », il appelle à un nouveau sens, à un projet de société, à une repolitisation qui ne soit pas exclusivement politique : « la politique m’a longtemps masqué le politique » .

Le problème essentiel que pose entre les lignes Régis Debray est celui-ci : peut-on fonder une politique démocratique ailleurs que sur l’’opinion ? Pour l’auteur, la réponse est sans ambiguïté : l’’opinion ne saurait servir de guide. Ce n’’est pas parce que 78 % des français approuvent une opération militaro-humanitaire en Afrique que celle-ci est légitime. Et il assène prenant l’exemple de la diplomatie : « <em>Bien faire son métier, c’’est braver l’’opinion majoritaire, dont l’’historien sait, depuis qu’’il y a des mesures d’’opinion, qu’’elle s’’est toujours trompée sur le sens de l’’histoire en cours. Il n’’est pas de plus sûr gage d’’errement pour une diplomatie que sa popularité immédiate, le fait est avéré et documenté</em> »

Le problème essentiel que pose entre les lignes Régis Debray est celui-ci : peut-on fonder une politique démocratique ailleurs que sur l’’opinion ? Pour l’auteur, la réponse est sans ambiguïté : l’’opinion ne saurait servir de guide. Ce n’’est pas parce que 78 % des français approuvent une opération militaro-humanitaire en Afrique que celle-ci est légitime. Et il assène prenant l’exemple de la diplomatie : « Bien faire son métier, c’’est braver l’’opinion majoritaire, dont l’’historien sait, depuis qu’’il y a des mesures d’’opinion, qu’’elle s’’est toujours trompée sur le sens de l’’histoire en cours. Il n’’est pas de plus sûr gage d’’errement pour une diplomatie que sa popularité immédiate, le fait est avéré et documenté »