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Clarification de la publicité sur le commerce équitable

Après plus d’une année de travail et de nombreuses auditions, le Conseil Paritaire de la Publicité devrait publier mercredi 13 avril son avis sur le Commerce équitable.

Sans empieter sur les prérogatives de la commission nationale du commerce équitable, et considérant l’absence de règles sur l’utilisation publicitaire du thème « commerce équitable » dans la publicité, le CPP a taché de clarifier cette utilisation afin de permettre un meilleur développement du Commerce équitable.

En effet, le CPP s’est aperçu de l’apparition de labels auto proclamés, de produits se réclamant du commerce équitable pour des % infimes d’ingrédients dans la composition du produit, d’une certaine confusion avec des messages d’ONG, d’absence de preuves directement accessibles au consommateur, bref qu’une certaine confusion existait sur ce sujet.

A la suite de cet avis, l’Autorité de régulation Professionnelle de la Publicité devrait formaliser une Recommandation dans les mois à venir.

Thierry Libaert.

Le mythe du consommateur éthique

The myth of the ethical consumer

Timothy M. Devinney, Pat Auger et Giana M. Eckhardt

Cambridge University Press 2010, 244 pages

 

Un ouvrage phare dont l’ambition est de dépasser les notions abstraites de consommation responsable dans une perspective normative et généralement basée exclusivement sur des enquêtes sociologiques où prime le déclaratif sans considération du comportemental. Comme le notent les auteurs, ces études représentent pourtant 90 % des recherches empiriques sur la consommation responsable, malgré des biais manifestes.

 

Par une synthèse des recherches sur le sujet et leurs propres expérimentations, les auteurs concluent que :

 

o      Les variables de sexe, d’âge et de richesse sont peu significatives dans les comportements de consommation responsable (p. 86),

 

o      Qu’il est préférable de marquer une caractéristique responsable d’un produit plutôt que de communiquer globalement sur son positionnement éthique (p. 105),

 

o      Que les différences culturelles en matière de consommation éthique pèsent beaucoup moins qu’il a pu être suggéré.

 

L’ouvrage, basé sur des enquêtes économiques, sur des observatoires d’arbitrages à choix multiples, fournit une vision nettement plus complexe que celle délivrée fréquemment. Les auteurs détruisent l’idée qu’une information sur les caractéristiques éthiques du produit puissent en soi avoir un effet déterminant sur les comportements d’achats.

 

Après avoir noté le biais qui consisterait à opposer des produits « éthiques » à des produits qui ne le seraient pas, les auteurs observent que si les thèmes sociaux ou environnementaux sont importants dans l’esprit des consommateurs, ils ne les considèrent pas comme significatifs pour eux-mêmes. Les consommateurs placent le ratio qualité / prix en déterminant majeur et estiment que les problèmes liés à des questions de responsabilité relèvent davantage de l’action publique que d’eux-mêmes.

 

En somme, il ne s’agit pas d’un manque d’information puisque dans la plupart des situations observées, les consommateurs ont eu l’information sur les qualités environnementales ou sociales des produits : « The information was there ; they simply chose to put it out of their minds and not act upon it. » (p. 133). Et lorsque les chercheurs font observer l’absence de logique entre le discours et la pratique d’achat, les consommateurs ne l’évacuent pas mais produisent différentes justifications pour expliquer cette différence.

 

Selon les auteurs, « le citoyen-consommateur souffre de schizophrénie idéologique » (p. 139), son discours éthique est l’expression d’un souhait en tant que citoyen, son comportement d’achat relève de sa logique de consommateur.

 

L’ouvrage présente une importante étude basée sur de l’arbitrage (Best – worst experiment). Chaque sujet devait évaluer dans des listes ce qu’il considérait comme étant, relativement à un produit, le meilleur et le pire sur des catégories comportant quatre allégations et sur une liste totale de seize allégations (human rights, child labor, biodegradability, recyclability, genetically modified, animal rights, …). Cette expérience basée sur des choix concrets et réalisée dans six pays indique la faiblesse des différences entre pays et indique que le thème « droits de l’homme » est dominant parmi les arguments responsables. Les arguments les plus efficaces (« human rights » et « good living conditions ») et les moins performants comme le recyclage des emballages, figurent dans les mêmes positions quels que soient les pays étudiés.

 

Les auteurs mettent en évidence l’efficacité d’arguments pouvant s’adresser fortement à notre volet citoyen (les droits de l’homme, le travail des enfants) mais avec un faible impact sur notre comportement de consommateurs alors que d’autres arguments entrent davantage en résonnance avec notre esprit de consommateurs.

 

La conclusion porte sur le nécessaire dépassement des notions d’éthique appliqué aux produits de consommation et aux croyances en l’efficacité de fournir des informations comme déterminant majeur de changement de comportement. Une meilleure connaissance du consommateur responsable doit dépasser les enquêtes traditionnelles basées sur des interviews et utiliser d’autres modalités comme les procédures d’arbitrage « Intentions without trade-offs are suspect » (p. 173). L’étude des comportements est plus enrichissante que celle des intentions.

 

Un livre remarquable, parfois de lecture difficile dans les explications méthodologiques, qui amène un bond considérable dans le foisonnement des études sur la consommation responsable.

Thierry Libaert

 

Interview sur « communication & Environnement »: les points saillants

Itw diffusé sur le site de l’agence Vedacom. Février 2011.

« Il me semble primordial que le dialogue fasse son apparition dans la communication environnementale »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thierry Libaert, expert en communication des organisations

Pavé dans la mare sorti fin 2010, le nouveau livre de Thierry Libaert  »Communication et environnement, le pacte impossible » interpelle par son titre et sa 4e de couv : « le développement durable a été créé par la communication des entreprises pour ré-enchanter l’économie et fournir un thème consensuel sur nos modes de développement. A partir de nombreux travaux scientifiques internationaux, cet essai démontre que la communication sur le développement durable, loin de relégitimer la place de l’entreprise, engendre des effets pervers qui vont bien au-delà des attaques en greenwashing. »

De quoi nous donner envie d’en savoir plus…

VedaCom : vous venez de publier Communication et environnement, le pacte impossible. Pourtant j’ai le sentiment que les entreprises se sentent attendues sur la thématique du développement durable en interne comme en  externe… pourquoi ce livre ?

Thierry Libaert : Je suis parti d’un constat : la difficile communication entre la sphère communicationnelle et le secteur du Développement Durable. Dans mes réflexions, je me situe entre les modes d’emploi et la dénonciation.  Depuis mon arrivée dans un centre de recherche en communication, le LASCO (Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication d’Organisation) qui dépend de l’Université de Louvain, je suis effaré de l’ampleur des connaissances et des acquis de la recherche académique. Cette ressource est souvent peu connue des praticiens.  J’ai aussi souhaité avec ce livre mettre à la disposition des communicants les travaux de la recherche sur la communication environnementale.

VedaCom : Vous pensez que la communication environnementale peut se retourner contre celui qui l’utilise. Comment en est-on arrivé là ?

Thierry Libaert : Je vois essentiellement 2 raisons.

  • L’idée du plus petit dénominateur commun : le secteur environnemental est l’un des rares thèmes accessible par toutes les cibles. Chacun peut y projeter ses attentes. Pour les clients, choisir une marque qui s’exprime sur le développement durable valorise l’acte de consommation par exemple. Les plans d’économie des financiers peuvent aussi être justifiés par les démarches RSE. C’est presque devenu une solution miracle…
  • L’utilisation de la communication environnementale comme image réputationnelle. On a l’impression d’assister à un concours de beauté environnemental. Les entreprises ont pris le tournant environnemental dans l’objectif d’améliorer la réputation auprès des consommateurs en oubliant les bases du développement durable : le dialogue et l’échange, la confrontation et l’ouverture.

VedaCom : Quel lien voyez-vous entre la communication et les 3 piliers du DD ?

Thierry Libaert : Comme j’avais tenté de le démontrer en 2003 dans mon ouvrage La transparence en trompe l’œilla communication est pour moi le 4e pilier du développement durable. Sur quoi reposerait le développement durable si ce n’est sur la communication entre les sphères économique, sociale et environnementale ? C’est d’ailleurs, l’étymologie même de Communicare, c’est-à-dire la mise en commun, idée indiquée également dans la démarche de regroupement de domaines jusque-là pensées distinctement.

Dans une perspective plus opérationnelle, la communication apparaît de plus en plus incontournable dans le développement durable. La raison principale réside dans la reconnaissance des principes de communication dans la mise en œuvre effective des principes du développement durable avec 2 mots-clés : la participation et la transparence. Au niveau européen, la charte d’Aarhus conclue par les Etats européens en 1998 se référait directement à l’obligation de transparence. En France, l’article 7 de la Charte de l’environnement (2005) reconnaît le droit d’accéder aux informations « et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Dernièrement, lors du colloque pour les 20 ans de la Fondation Nicolas Hulot,  Tim Jackson a exposé sa vision de la prospérité sans croissance où la participation est centrale.

VedaCom : Cela signifie-t-il que toute communication environnementale devrait être abandonnée ?

Thierry Libaert : Le problème se pose différemment. Pour quelle raison les entreprises communiquent-elles sur leur démarche environnementale ?Certaines d’entre elles pensent que la communication environnementale peut ré-enchanter leur image. Or si l’entreprise a déjà une bonne image globale, on lui prête une bonne image eco-citoyenne. Croire que l’image environnementale protège particulièrement en période de crise est fausse. Le décalage entre le discours de l’entreprise et ses actes en matière de RSE est même amplifié. L’autre question est comment le fait-on ? Si l’on réalise un blind test sur les thèmes développement durable des différents journaux d’entreprises, on ne reconnaît souvent même pas de quelle organisation il s’agit. Le développement durable a préempté une image – celle de la Terre vue du ciel-, une couleur – le vert-, des adjectifs mémorisables –équitable, viable et vivable. Tout se ressemble, les discours sont homogènes d’une entreprise à une autre. Le mot contradiction est oublié.

VedaCom : Est-ce également le cas sur Internet ?

Thierry Libaert : Outil d’interactivité par excellence, Internet s’inscrit parfaitement dans l’idée de dialogue présent dans les démarches RSE. Il est également l’outil de prédilection pour rechercher des informations sur le développement durable pour 76% des Français. On pourrait donc s’attendre à ce que les rubriques RSE des sites soient interactives. Pourtant, il n’en est rien. L’information est unilatéralement descendante notamment sous forme de graphiques ou de documents téléchargeables. Tandis que les rubriques financières se révèlent beaucoup plus interactives proposant des rencontres virtuelles, des chats, des forums, une adresse mail pour les contacts… Les rubriques RSE des sites sont avant tout conçues comme une vitrine au service de la réputation.

VedaCom : Quelles pourraient être les pistes d’une communication plus durable ?

Thierry Libaert : Il me semble primordial que le dialogue s’amplifie dans la communication environnementale, que les communicants soient moins basés sur l’image mais sur plus de relationnel, que l’entreprise s’ouvre… avec dans les conseils d’administration, un représentant d’une ONG par exemple. Il faut réintroduire le débat sur l’environnement au coeur même de l’entreprise, que les différentes parties travaillent ensemble, définissent des pistes d’actions communes. Et c’est seulement lorsque les actions sont réalisées que l’entreprise sera légitime dans sa prise de parole.  Elle peut alors communiquer sur ses réalisations plutôt que sur des engagements de moins en moins crédibles. Tout en restant humble, bien sûr. Dernier conseil : s’éloigner de la langue de bois… pour un discours concret révélateur de la démarche de l’entreprise.

Après le greenwashing, le greenbashing

Article publié vendredi 7 janvier par Le Vif/Express

auteur Olivier Fabes

Après le greenwashing, le greenbashing

Galvaudée, l’expression « développement durable » ne va pas durer. Les entreprises commencent à réaliser qu’une communication verte hyperconsensuelle et angélique finit par lasser.

Trop, c’est trop. A force de mettre du vert partout, de nous faire croire que la voiture devient presque bénéfique pour la nature ou de brasser beaucoup de vent pour quelques éoliennes, les entreprises ont fait perdre toute crédibilité à la communication environnementale. C’est le constat implacable que posait dernièrement dans nos colonnes Thierry Libaert, professeur en communication à l’UCL et auteur de Communication et environnement, le pacte impossible. Dégât collatéral du greenwashing, l’expression « développement durable », apparue il y a une vingtaine d’années, est elle aussi vouée à disparaître. Elle est selon lui devenue « un attrape-tout » consensuel dont se sont progressivement emparées les entreprises pour « réenchanter » la sphère économique et tenter de concilier croissance et intérêt général. Mais le filon est à présent surexploité.

Retour de manivelle

Certaines entreprises semblent se rendre compte du trop-plein. Parfois, après s’être pris un fâcheux retour de manivelle. C’est notamment le cas de Renault, dont la publicité « Eco 2 » avec la navigatrice Ellen Mac Arthur (on voit une voiture « qui ne laisse plus de trace sur la planète », l’herbe repoussant automatiquement après son passage) a été clouée au pilori médiatique et condamnée sur les réseaux sociaux. L’autorité française de régulation de la pub a remis un avis négatif. Et le groupe automobile a sans doute compris qu’il y avait des bornes à ne pas franchir. Ou plutôt à ne plus franchir. Car, depuis une bonne année, les agences de pub en France ne peuvent plus utiliser l’argument environnemental avec trop de légèreté. Elles sont soumises à un certain nombre de règles d’encadrement. Les labels autoproclamés ou les allégations vertes sans fondement passent moins facilement la rampe. L’approche française porte visiblement ses fruits puisque, pour la première fois dans l’Hexagone, les entreprises ont moins utilisé de références environnementales dans leurs campagnes publicitaires, alors que celles-ci avaient été multipliées au moins par cinq entre 2006 et 2009 (1).

Bref, les entreprises semblent prendre conscience qu’une communication verte trop idyllique, en décalage avec la réalité de l’entreprise, en plus de lasser le consommateur, peut nuire à l’image. Il est loin le temps où le groupe Henkel avait pu doper les parts de marché de sa marque Le Chat de 5 % en étant parmi les premiers à vanter les mérites écologiques de sa poudre à lessiver.

Dès lors, plutôt que d’inventer des arguments verts différenciateurs qu’ils n’ont pas, certains jouent la carte de l’humour ou de la dérision. Le greenbashing, qui se moque de l’environnementalisme à deux sous, prend le relais du greenwashing. La campagne en ligne de Goodyear (legoodchoix.com) égratigne des caricatures de militants écologistes qui vantent les mérites de pneus. Dans une pub pour la Passat, Volkswagen se moque d’une communauté de hippies dont l’objectif est de ne pas émettre du tout de CO2. Et plus simplement, Honda détourne l’expression « éco-responsable » pour afficher le slogan très nombriliste « Devenez ego-responsable ». Dans ce registre aussi, l’avantage de l’originalité risque d’être tout sauf durable.

(1) D’après une analyse commune de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et l’autorité française de régulation de la publicité.

Opinion, Entreprise et développement durable

Entreprises, opinions publiques et développement durable

Actes du colloque organisé par l’IRIS au printemps 2010.

5 janvier

Thierry LIBAERT, Professeur en sciences de l’information et de la communication, Université catholique de Louvain et Institut d’études politiques de Paris

 Quelques idées sur « Opinion publique et entreprises », et peut-être davantage sous l’angle de la communication qui est mon domaine de recherche.

Premièrement, sur le constat sur lequel nous sommes tous d’accord, nous assistons, depuis une dizaine d’années, à une montée en puissance de la sensibilité écologique de l’opinion publique sur le thème de l’environnement, avec une caractéristique française qui est une forte sensibilité notamment sur la catégorie des personnes qui se déclarent très préoccupées. Ce qui est intéressant en fait quand on travaille sur l’opinion publique, ce ne sont pas tellement les éléments de réponse favorables ou opposés, mais ce sont les questions clivantes, c’est-à-dire les « très préoccupées » ou « pas du tout ». Et la proportion française des personnes qui se disent très préoccupées est l’une des plus importantes en Europe. Donc il s’agit là d’un phénomène de montée en puissance forte.

Deuxièmement, la préoccupation a évolué sur les thèmes environnementaux. Depuis quasiment une quinzaine d’années, et jusqu’aux années 2005-2006, les deux thèmes prioritaires dans la préoccupation écologique européenne étaient les thèmes de l’air et de la qualité de l’eau. On considérait que c’étaient les thèmes par lesquels chaque individu se sentait directement concerné, parce que cela concernait son intégrité. Le thème du réchauffement climatique est apparu en 2007/2008 comme la première préoccupation, et cela à l’échelle européenne. Quand on regarde l’eurobaromètre, qui sert de référence aux 27 pays de l’Union européenne sur la sensibilité écologique, entre autres, le réchauffement climatique est la deuxième préoccupation devant les problématiques de faim dans le monde, de pauvreté, et devant la crise économique (selon une enquête faite en novembre 2007). Ce qui est intéressant en terme géopolitique, c’est de voir que les anciens réflexes que l’on pouvait avoir en terme d’explication en fonction des cultures anglo-saxonnes ou latines, plutôt les pays du Nord contre les pays du Sud, cela ne fonctionne pas. On a une sensibilité plus forte dans les pays du Nord, notamment au Danemark, mais on trouve aussi des anciens pays de l’Est comme la Slovénie. C’est une grille intéressante qui permet de décrypter en termes de géopolitique des controverses entre Etats. On voit notamment que des pays qui étaient peut-être plus réticents à Copenhague, comme la Pologne, l’Italie ou l’Espagne, sont aussi des pays dans lesquels l’inquiétude sur le réchauffement climatique est assez basse. Une clé d’explication réside peut-être davantage dans l’opinion publique que dans l’Etat, et c’est par elle que l’on peut expliquer des comportements sur des négociations internationales.

Troisième point intéressant : s’il y a une chose qui est assez ahurissante quand on regarde l’ensemble des sondages et des études réalisées, et il y en a beaucoup à l’échelle internationale, c’est qu’il y a une formidable envie d’agir. Sur la quasi totalité des thèmes, il y a dans le déclaratif une envie d’agir, avec un plébiscite total sur le tri des déchets, mais autrement, les gens disent être prêts à tout pour l’environnement. C’est peut-être aussi un élan de valorisation psychologique. Le seul point sur lequel il y a une réticence concerne le domaine fiscal, et on le voit avec la taxe carbone. Mais il faut vraisemblablement l’interpréter davantage comme une méfiance envers l’Etat, plutôt que comme un problème environnemental en tant que tel. Derrière ce déclaratif très important, il y a tout de même une formidable ambiguïté. Lorsque l’on décrypte entre les lignes les études qui sont faites sur l’environnement, les gens disent que « l’environnement c’est grave, mais près de chez moi ça va ! ». C’est-à-dire que plus on élargit le ressort territorial de référence, plus l’inquiétude croît. Globalement, dans ma région ça va, dans mon pays c’est moyen, en Europe c’est très mitigé et dans le monde, c’est la catastrophe. Dans le même temps, au niveau temporel, plus l’échelon s’accroît et plus l’inquiétude augmente. C’est-à-dire que maintenant ça va, les problèmes de l’environnement c’est 2050. C’est-à-dire que ça concerne les générations futures. La problématique environnementale n’est pas une problématique d’auto responsabilité. Ce sont les entreprises qui sont responsables de l’environnement. Et ensuite, ce sont les politiques, puis les consommateurs, même si chacun a toujours l’impression d’être un bon éco-citoyen. C’est ce qui explique que beaucoup de campagnes de sensibilisation nous concernent assez peu, car chacun a l’impression d’être un bon éco-citoyen, tout comme pour la sécurité routière où chacun a l’impression d’être un bon conducteur. Donc les individus trouvent les campagnes intéressantes, mais ne s’identifient pas. Le choix des mots est très important dans ces problématiques d’opinion publique / entreprise, car selon les mots que nous employons, nous obtenons des résultats totalement différents. Nous sommes contre les éoliennes off-shore mais pour les éoliennes marines, alors que c’est la même chose. On trouve que le problème de l’érosion de la biodiversité est important mais sans plus. En revanche, la disparition des espèces végétales et animales est un réel problème. La menace climatique est considérée comme un grave problème, le dérèglement climatique est un problème qui peut être abordé. Il faut donc prendre de la distance par rapport à tout cela. Il faut considérer que l’environnement, contrairement à l’inflation, à l’emploi, à la sécurité, au logement et aux inégalités, est une préoccupation qui arrive de manière médiatisée. Ce que l’on sait de l’environnement correspond globalement à ce que l’on voit sur le naufrage de la plate-forme de BP ou des images de l’ouragan Katrina. C’est un événement qui touche par un relais médiatique. C’est donc important de travailler sur la construction médiatique de ces problématiques.

Pour expliquer davantage comment les opinions se forment sur ces thématiques, il y a la croyance en la science et le progrès technique. La France est un pays dans lequel la croyance dans le progrès technique est la plus faible, contrairement aux Etats-Unis où c’est l’inverse. On peut expliquer aux Etats-Unis la perception des problématiques de réchauffement climatique par une croyance dans la capacité du progrès technique à faire face aux problèmes futurs.

La question qui maintenant se pose, concerne les modalités de fonctionnement communicationnel de ce problème.
Premièrement, il faut considérer que l’entreprise est au cœur du sujet, car elle est clairement en position d’accusée. C’est une caractéristique de la France : la confiance dans le monde de l’entreprise est au plus bas depuis une dizaine d’années. Dans le même temps, la relation à la communication, et notamment à la publicité est au plus bas : 42% des Français sont opposés à la publicité contre 38% favorables. Le décalage est monté de 10 points en deux ans. Les Français disent quelque chose d’extrêmement fabuleux dans la relation entreprise / environnement / développement durable : on exige de l’entreprise qu’elle nous informe sur ce qu’elle peut faire au niveau environnemental. On a l’impression qu’elle nous le cache, qu’il n’y a pas de transparence. Dans le même temps, on prévient l’entreprise qu’on ne la croira pas sur tout ce qu’elle dira. C’est pour cela qu’un des thèmes majeurs de débat dans le Grenelle 2 est la problématique du green washing. Comment faire pour que les entreprises ne tombent pas dedans ? On observe que les entreprises qui parlent d’environnement sont celles qui ont un impact environnemental lourd, ce sont les secteurs d’activité qui ont l’impact environnemental le plus fort. Et ce sont précisément les entreprises ayant les tailles et les activités les plus impactantes sur l’environnement, qui ont généralement le discours le plus positif. Donc on a forcément une interrogation sur ce décalage entre les entreprises ayant l’impact le plus important par rapport à la perception d’un discours environnemental laudatif. Globalement, il y a un décalage fabuleux entre des entreprises qui ont un discours très positif par rapport à la perception contrastée d’une réalité de leurs actions.

Plus le secteur industriel (énergie et chimie notamment) est impactant, et plus les entreprises communiquent. Dans ces secteurs-là, plus les tailles sont importantes et plus la communication est importante. Ce qui est fabuleux dans ces cas-là, c’est de voir le décalage entre l’idée même du développement durable qui est basé sur l’interaction, le dialogue et l’échange, et la réalité d’une communication qui se fait beaucoup sur l’image. Lorsque les entreprises communiquent sur l’environnement, elles le font dans une perspective réputationnelle. Par exemple, allez sur des sites internet : les rubriques des sites dans lesquels on peut poser des questions et interagir avec les entreprises, vous en trouverez très peu sur les rubriques développement durable, et beaucoup sur les rubriques financières. Cela donne une idée de la prédominance d’une communication très valorisante d’une entreprise mettant en scène le développement durable pour sa réputation. Mais en observant les résultats, on voit que le développement durable a un impact très réduit sur l’image des entreprises. Quand on regarde les grandes entreprises dans le haut de classement des palmarès de réputation, très peu ont travaillé sur l’axe environnemental. On a plutôt l’impression que les entreprises sur lesquelles on peut avoir une bonne perception environnementale sont le résultat d’entreprises qui ont conçu une image globale. Mais à l’inverse, les entreprises qui ont beaucoup travaillé sur leur image environnementale ont rarement une image globale forte.

Pour conclure, l’image « développement durable », contrairement à ce que l’on pense, ne protège pas du tout des crises. On entend souvent dire que plus on a une bonne image environnementale et plus on pourra surmonter les crises. Mais en réalité, c’est l’inverse. On a oublié la problématique de la méfiance. On le voit en cette période avec le cas de la plate-forme pétrolière de BP, lorsque l’on teste des situations de crise, qu’on essaye de les reproduire en laboratoire, on constate que les entreprises qui ont beaucoup communiqué peuvent induire l’idée de tromperie, lorsqu’elles sont en crise. Il y a un effet de déception qui apparaît. L’image de développement durable, non seulement ne protège pas des crises, mais peut introduire un effet boomerang. Les entreprises doivent donc être relativement prudentes dans leur communication environnementale, car en période de crise cette communication peut se retourner contre elles.

Le développement durable a peut-être fait partie de ces notions « faciles », car nous sommes dans des sociétés où il y a perte des disciplines et des publics en communication. Aujourd’hui, le développement durable fait partie de ces thèmes de communication qui sont devenus le plus petit dénominateur commun de toutes les communications de l’entreprise. A partir du moment où il y a différents types de publics, souvent interconnectés, il faut que l’entreprise trouve des thèmes acceptables par l’ensemble de ces publics, et il n’y en a pas énormément. Le développement durable fait partie de ces thèmes qui ont cette image consensuelle, c’est-à-dire dans lequel tous les publics de l’entreprise peuvent se retrouver. Mais l’inconvénient, c’est que cela donne une image de discours un peu lissé, qui ne repose pas toujours sur des engagements vérifiables, et qui, au lieu d’être cet élément de solution, peut au contraire être un élément du problème.

Qui sommes nous ?

L’IRIS – Institut de relations internationales et stratégiques, centre de recherche en relations internationales, a créé son site d’informations « affaires-strategiques.info ».

Suite…

La Communication verte, 20 ans après

En 1992, j’avais rédigé le premier livre francophone sur la communication environnementale, la commercialisation de cet ouvrage s’est arrété en 2001, et en 2007, l’OIC (Observatoire International des Crises) l’a mis en ligne sur son site. A cette occasion, j’en avais rédigé un avant propos. Parlant de communication environnementale en décembre 2010, je trouve toujours interessant de relire les 1ers textes.

Préface à l’édition en ligne 2007

 Lorsque j’ai publié en 1992 l’ouvrage La communication verte, celui-ci a bénéficié du contexte de l’époque marqué par la réunion à Rio de Janeiro du premier sommet de la terre considéré aujourd’hui comme le point de départ d’une gouvernance internationale de l’environnement. L’ouvrage étant désormais épuisé en librairie et comme je recevais régulièrement quelques demandes, majoritairement d’étudiants, pour connaître les moyens de se le procurer, j’ai décidé, 15 ans après, de le mettre en ligne de manière intégrale.

Je pense que la deuxième partie, notamment celle sur les acteurs, est devenue obsolète et plusieurs réflexions sur le positionnement ou la communication interne demanderaient une réécriture. Je pense toutefois plus utile de laisser l‘ouvrage dans son contenu initial afin de le considérer pour ce qu’il était, la première réflexion francophone sur la relation communication / environnement / entreprise et pour ce qu’il est devenu ; une préfiguration de la communication liée au développement durable, aujourd’hui thème majeur de la communication des entreprises.

Dans cet ouvrage et autour des trois thèmes – communication, environnement et entreprise – j’ai d’abord cherché à montrer l’accélération de la prise en considération de l’environnement par l’entreprise par une classification autour de quatre époques.
· Une première étape qui débute à l’origine de la révolution industrielle jusque vers les années 1967-68 où l’environnement est absent des préoccupations industrielles,

·   Une époque de prise de conscience embryonnaire entre 1967–68 et 1974 qui se traduit par le premier ministère de l’environnement, le rapport du Club de Rome, les premiers services environnement en entreprise,

·  Une période de réaction entre 1974 et 1986 où se met en place l’essentiel de la réglementation environnementale et la majorité des services environnement en entreprise,

·  Une époque que je fais débuter en 1986, date de Tchernobyl, première catastrophe réellement internationale. Cette période qui court encore aujourd’hui marque un changement d’approche par l’entreprise du facteur environnemental.

Trois paramètres expliquent ce changement d’attitude :

·   La conviction que l’environnement est une donnée économique et sociale majeure et durable et non un phénomène de mode,

·   La perception qu’il est préférable d’agir de manière volontariste, voire offensive afin d’éviter toute réglementation ultérieure imposée,

·   La découverte que l’environnement, s’il représente fréquemment une contrainte économique et financière, peut, s’il est intelligemment analysé, représenter également pour l’entreprise une opportunité concurrentielle majeure.

La communication environnementale apparut en conséquence de ces trois paramètres. L’entreprise pouvait communiquer sur ce thème car il répondait à une préoccupation durable majeure, il permettait à l’entreprise de « faire savoir » son action en ce domaine et il lui permettait un positionnement concurrentiel.

J’ai ensuite cherché à définir les acteurs de cette communication environnementale. Le rôle des pouvoirs publics et des élus, celui des associations, des médias en m’appuyant alors largement pour les médias grand public sur les travaux de Pierre Lascoumes [1] et sur celui des relais d’opinion.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, je me suis attaché à analyser trois domaines de communication environnementale.

Tout d’abord, la communication directement axée sur l’avantage marketing de l’écologie intégré au produit. C’est en effet par le marketing écologique que la communication environnementale est apparue en France. Plus précisément en 1989 après que le groupe Henkel a racheté la marque Le Chat et décidé de lui donner un positionnement environnemental. « Une propreté éclatante est une contribution à la protection de l’environnement ». La polémique qui suivit en raison de la justification de la promesse (l’absence de phosphates), la contre-offensive de Rhône-Poulenc alors premier producteur de phosphates et surtout les résultats financiers obtenus (5 % de parts de marché) entraînèrent un véritable choc dans l’ensemble du milieu industriel. Celui-ci constata d’abord les potentialités économiques d’un positionnement vert mais aussi la nécessité d’une communication soigneusement délimitée en raison d’un effet boomerang potentiel.

Je disais à l’époque que ce n’était pas un hasard si c’était dans le milieu des lessiviers, supposé être la meilleure école de marketing, que naquit la communication environnementale dans laquelle allait ensuite se retrouver la quasi-totalité des secteurs économiques.

Au début des années 90, l’environnement est parfois apparu comme une poule aux œufs d’or, en raison d’une croyance en un triangle magique :

·   La réduction des coûts de revient par les économies réalisées sur la conception du produit (matières premières, énergie, emballage,…),

·   Le marché considérable ouvert par ce positionnement puisque chacun se sentirait impliqué,

·   La possibilité d’accroître les prix de vente puisque le consommateur annonce son intention de pouvoir payer plus cher des produits réputés « propres ».

L’attrait théorique principal du schéma de la communication environnementale est qu’elle place chaque acteur dans une situation gagnant – gagnant puisqu’aux côtés de l’entreprise, le consommateur se voit lui valorisé par l’acte d’engagement psychologique qu’il réalise par sa pratique consumériste et que traduit l’adage américain « be part of the solution ».

J’ai essayé de distinguer les bases de la communication marketing et ses transformations, notamment sur l’unique selling proposition.

Je me suis ensuite attaché au domaine du mécénat environnemental, alors en pleine progression. J’ai tâché d’en analyser les spécificités et notamment deux d’entre elles :

·   L’objectif de relationnel. Il est généralement assigné deux objectifs au parrainage, l’image et la vente. Le mécénat vert ouvre un nouvel objectif, celui de relationnel car il permet l’établissement d’un dialogue entre deux mondes qui s’ignorent et se méfient l’un de l’autre ; l’entreprise et le milieu associatif.

·   L’objectif de durée puisque le mécénat environnemental permet une communication APA : avant l’événement, pendant et ultérieurement (opération bilan après un reboisement ou la réintroduction d’une espèce animale).

J’ai essayé de proposer certains principes d’action, notamment sur les velléités de « récupération » écologiste sous couvert de financement.

Le troisième domaine est celui de la communication interne « verte », c’est–à-dire sur les modalités de cette communication vis-à-vis des salariés. J’ai cherché à démontrer qu’elle était un outil de consensus social, de mobilisation interne, voire de fierté d’appartenance.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, j’ai analysé le positionnement institutionnel de l’entreprise et proposé une démarche d’élaboration d’un schéma de communication basé sur l’environnement. Je voulais alors démontrer que la communication verte n’était pas un domaine réservé à quelques entreprises « à risque » mais que chaque secteur d’activité pouvait être concerné, et qu’au sein d’une entreprise, chaque métier avait une responsabilité. En termes de cible et message, je voulais démontrer que l’environnement était fédérateur puisque chaque socio-style, pour reprendre les termes de Bernard Cathelat qui préfaça l’ouvrage, était impliqué par la thématique environnementale, même si pour chacun sa propre représentation pouvait grandement évoluer.

Enfin, je préconisais une adaptation des moyens au travers des chartes et plans environnement d’entreprise, une communication discrète, par la preuve, argumentée. Je concluais sur la communication de crise environnementale avec la perception que l’environnement formait (avec la santé avec qui il est lié) un des domaines où la crise est particulièrement propice.

Ma conclusion générale portait d’abord sur la durabilité de la communication environnementale : « La vague verte ne retombera pas » [2] et sur son aspect prédictif, la communication possède un rôle d’entraînement propre à faire advenir les objectifs poursuivis. Elle portait également sur les limites de la communication (et donc de l’action) en prenant exemple sur les espèces animales pour lesquelles les entreprises pourraient investir.

Le relire après 15 ans amène un sentiment étrange où l’on s’aperçoit d’une certaine lenteur de la prise de conscience écologique. Je n’ai pas un mot à enlever à la description que je faisais alors de l’effet de serre, de ses causes et de ses conséquences probables.

Cet ouvrage a obtenu la médaille de l’Académie des Sciences Commerciales en 1993. Sa diffusion a été arrêtée en en janvier 2001 après 3.000 exemplaires vendus.

Il a fait l’objet d’excellentes retombées presse présentées en fin de ce livre[3]. Il a été reconnu comme le premier travail d’analyse sur la communication environnementale, notamment lors d’un colloque de l’Unesco où un intervenant, Laurent Bayoma Assale de l’Université de Yaoundé a noté que : « C’est par la notion de « communication verte » forgée par Thierry Libaert que l’on a pris conscience de la communication environnementale ». Dans son ouvrage La communication environnementale[4], Jacques Vigneron situe mon travail parmi « les premières synthèses essayant de faire ressortir les spécificités de la communication environnementale ». Outre Jacques Vigneron, un troisième auteur aura tenté ultérieurement de défricher le sujet, Michel Ogrizek en 1993 dans l’ouvrage Environnement et communication (Apogée).

J’ai depuis tenté de défricher d’autres sujets, mais la communication environnementale reste un de mes centres d’intérêt majeurs. J’ai taché de prolonger cette réflexion récemment dans l’ouvrage Entreprise et environnement, pour en finir avec les discours co-rédigé avec Dominique Bourg et Alain Grandjean et préfacé par Nicolas Hulot, et dans quelques articles. Ces articles sont disponibles – gratuitement – sur mon site Internet.

Thierry Libaert

Février 2007


[1] : Pierre Lascoumes, L’environnement entre nature et politique : un patchwork mal cousu, Gapp – CNRS, Octobre 1991

[2] : p. 203

[3] : disponibles sur http://tlibaert.info

[4] : Jacques Vigneron, Laurence Francisco, La communication environnementale, Economica, Poche Environnement, 1996, p. 21

Quelle communication à l’heure du réchauffement climatique

Interview dans Non Fiction. 3 décembre 2010.

Depuis le 29 novembre et jusqu’au 10 décembre, 194 pays sont à Cancun au Mexique pour la 16ième Conférence des parties de la Convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Les participants veulent faire oublier l’échec du sommet de Copenhague de décembre dernier et parvenir à un accord visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre.

A cette occasion, Thierry Libaert, Membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot, revient avec nous sur la “ green communication ” et nous explique en quoi elle peut se retourner contre celui qui l’utilise.
Nonfiction.fr : Thierry Libaert, dans votre dernier ouvrage “ Communication et environnement, le pacte impossible ” aux Presses Universitaires de France, vous abordez le thème du développement durable dans la communication. Est-ce un phénomène nouveau ?

Thierry Libaert : Non, le thème est ancien et remonte à la fin des années 80. Ce qui a changé c’est qu’au départ il était surtout utilisé dans une perspective marketing de vente de produits et services alors qu’aujourd’hui on le retrouve dans tous les domaines de la communication des organisations, et notamment dans l’objectif d’améliorer la réputation.
Nonfiction.fr : Comment expliquer que les questions environnementales soient passées de sujet quasi absent des médias, à un  sujet omniprésent à l’époque du sommet de Copenhague, pour en arriver aujourd’hui à un sommet de Cancun invisible ? L’environnement est un simple phénoméne de mode ?

Thierry Libaert : De mode certainement pas puisque les problèmes d’environnement sont structurels et seront encore bien présents à l’avenir. Ce qui est spécifique, c’est que contrairement aux autres préoccupations de logement, d’éducation, de sécurité, de chômage, les perceptions environnementales sont médiatisées. L’érosion de la biodiversité, la menace climatique, tous ces phénomènes nous arrivent par le prisme médiatique et dépendent souvent de l’actualité. On parle moins de Cancun que de Copenhague parce qu’il n’y a pas d’enjeux médiatiques apparents, absence de chef d’état, absence d’illusion sur son débouché. On peut aussi penser que la vague du climato scepticisme a brouillé les pistes.
Non fiction.fr : Pour vous, cette “ green communication ” n’apporte aucun bénéfice à l’entreprise, mieux, elle l’expose aux critiques. Pourquoi alors cette forme de communication ne s’estompe pas?

Thierry Libaert : Parce que le thème de l’environnement et plus globalement du développement durable a l’intérêt pour les responsables de communication d’apparaitre une sorte de plus petit dénominateur commun pour l’ensemble des cibles de communication, chaque partie prenante peut se retrouver dans des messages environnementaux alors que la plupart des autres thèmes sont davantage clivant à l’exemple de l’innovation ou de la qualité des produits et services. Le thème est apparu consensuel et réenchanteur en ce sens qu’au moment des restructurations féroces et du ralentissement économique, il offrait une vision positive du rôle de l’entreprise dans sa prise de responsabilité. Sans doute, celles-ci sont elles allées trop loin en proposant un discours digne des grandes utopies et l’effet boomerang est apparu. Cela explique que pour la première fois cette année, on assiste à une réduction significative des publicités utilisant l’argument écologique.
Nonfiction.fr : Aujourd’hui, des entreprises comme EDF ou GDF-SUEZ misent sur une communication clairement axée sur le respect de l’environnement. La démarche paraît porter ses fruits auprès de l’opinion qui les considère engagées. Agissent-elles de manières différentes des autres? Existe-t-il une autre voie ?

Thierry Libaert : Ce sont d’abord 2 entreprises qui ont fait de l’environnement un axe majeur de leur communication depuis plus d’une dizaine d’années et qui s’y sont tenues, alors que pour beaucoup d’autres on assiste souvent à un zapping communicationnel des messages émis. Ensuite ce sont des entreprises en réseau avec de multiples implantations locales et qui peuvent donc pratiquer une communication de proximité, par la preuve et pas seulement par la production de films publicitaires ou de belles plaquettes. Enfin, et ce n’est pas négligeable, elles bénéficient d’un effet de secteur d’activité puisque les entreprises énergétiques (hors pétrole) se retrouvent généralement en haut des palmarès de perception environnementale.

La presse en parle

La lattre de l’Union des Annonceurs de novembre 2010 présente « Communication et Environnement, le pacte impossible ».


Ce nouvel ouvrage du décidément très prolixe Thierry Libaert traite des relations complexes et ambiguës entre l’environnement et la communication. Dépassant l’analyse critique sur le greenwashing et les conseils pratiques, ce livre s’intéresse, sous un angle mi-politique/mi-philosophique, aux interactions contre-intuitives que peuvent développer ces deux sphères. Pourquoi diable, par exemple, le thème du développement durable, qui aurait dû permettre de réinjecter du sens dans la communication et de la confiance dans les marques, semble-t-il parfois produire l’effet diamétralement opposé ? La réponse est dans ce livre clair, concis et bien documenté.

Article paru dans « L’Echo » du 13 novembre.

L’effet boomerang de la communication verte Thierry Libaert « Communicating green »

Avoir le verbe vert n’est pas si bien vu que cela.

Le développement durable est le deuxième thème de communication des entreprises. Car dans l’air du temps. Car consensuel. Car vendeur, parfois. Mais mettre en avant cette facette de l’entreprise, c’est aussi prêter le flanc à la méfiance à trop en parler, ça devient suspect , aux critiques si derrière les mots, les actions ne suivent pas , au retour de bâton l’opinion publique est plus sévère en cas de crise. À quelques jours de la conférence internationale « Communicating green » à l’UCL (1), analysons la chose avec Thierry Libaert qui vient de publier « Communication et environnement, le pacte impossible ».

Pourquoi communiquer sur le thème du développement durable peut-il avoir un effet boomerang tout à fait négatif?

e Thierry Libaert On croit souvent qu’avoir une bonne réputation environnementale protège l’entreprise en cas de crise. Nous avons testé ce présupposé. Pour un panel d’individus, on a créé des situations fictives entre une entreprise avec une grosse communication environnementale, prospectus et documents à l’appui, et une entreprise qui communique peu sur le sujet. Le panel a ensuite visionné de faux reportages mettant en scène une crise dans ces sociétés. Le résultat, c’est que la communication sur l’environnement n’est pas un frein à l’intensité de la crise, au contraire car le panel s’est montré plus sévère avec l’entreprise communiquant le plus. Et ce parce qu’il s’est senti trompé, manipulé.

Dans la communication, il y a deux aspects: l’image et les relations publiques. Or quand on analyse le discours des entreprises, on voit qu’il y a une survalorisation de l’aspect image. Le thème du développement durable est utilisé dans la publicité, pas dans des interactions avec les ONG. Alors que le développement durable est le lieu du débat, de l’échange, de la participation des sphères économique, sociale et écologique.

Donc les entreprises se cantonnent encore à recourir à l’environnement comme un faire-valoir plutôt que comme un engagement concret?

e Oui, mais il y a trois éléments à préciser.

1) D’abord, je ne suis pas sûr qu’elles peuvent faire autre chose. Aujourd’hui le discours de l’entreprise est beaucoup moins segmentable par cible: salariés, clients, actionnaires, fournisseurs accèdent à la même information, via le web surtout. Donc l’entreprise doit utiliser des messages communs et acceptables par l’ensemble du public. Et le développement durable en fait partie, tel un plus petit dénominateur commun. C’est un type de message qui peut satisfaire l’ensemble des publics, c’est un argument consensuel.

2) Le temps de faire savoir les actions menées par l’entreprise est un peu passé. Aujourd’hui, l’idée c’est de croire au pouvoir de la communication dans sa capacité prédictive: il faut que la communication ait la capacité de faire advenir ce qui n’est pas encore. C’est-à-dire communiquer une ambition. Or communiquer sur le développement durable, c’est montrer ses ambitions, sa volonté d’avancer.

3) En outre, les indicateurs montrent que le « greenwashing » est en baisse. Car les entreprises se sont fait taper sur les doigts quand elles communiquaient ainsi. C’était, par exemple, le 4×4 « conçu et développé au pays des accords de Kyoto » [slogan pour l’Outlander de Mitsubishi, NDLR] ou ce groupe pétrolier qui tapissait ses pubs d’éoliennes alors que l’énergie éolienne qu’il produisait représentait 0,1&flexSpace;% de sa production totale.

Dans votre livre, vous dressez le constat d’une communication verte en échec. Pourquoi?

e Ce constat renvoie à la construction de réputation: la communication environnementale n’y aide pas. Une chose extraordinaire, c’est que les 100 premières entreprises du classement des entreprises les plus admirées établi par « Fortune » n’utilisent pas le thème du développement durable [on y trouve Apple, Google, Goldman Sachs, Coca-Cola, NDLR]. Et justement, c’est peut-être parce qu’elles n’utilisent pas ce thème qu’elles sont bien vues… Il ne faut pas perdre de vue que la pub ne dit pas quoi penser, mais ce à quoi il faut penser. Et la communication environnementale de certaines entreprises a porté l’attention sur elles. Voyez, il y a 10 ans, l’opinion publique considérait qu’il y avait deux responsables pour les problèmes de développement durable: les pouvoirs publics et les entreprises. Les pouvoirs publics ont peu communiqué sur le sujet, les entreprises beaucoup. Dix ans plus tard, les gens considèrent que le problème du développement durable, c’est l’entreprise.

Quant à la réaction des consommateurs, une étude britannique a constaté que si dans un premier temps, ils disent « oui, je suis attentif aux entreprises responsables », quand on leur demande d’en citer 5, ils sont incapables d’en mentionner une.

Vous préconisez une « slow PR ». C’est-à-dire?

e Slow PR fait référence aux mouvements slow food ou slow design qui cherchent à retrouver une temporalité plus saine. Auparavant, les plans com’ se faisaient sur une perspective de 3 à 5 ans. Aujourd’hui, ils vont de pair avec les plans d’action annuels et les annonces de résultats semestriels. On est dans un temps court qui est de plus en plus celui de l’actionnaire. Avec 46.000 concurrentes — c’est le nombre de sociétés cotées dans le monde — les entreprises sont sur le qui-vive pour conserver leurs actionnaires. Or la communication sur le développement durable doit se réapproprier sa propre temporalité. Quand on parle de développement durable, on parle d’avenir pour la génération suivante. L’échelle n’est pas du tout la même… C’est peut-être pour ça d’ailleurs que communication et environnement, c’est un pacte impossible…

Pourtant, construire une marque ne peut se faire que si on prend le temps de la communication. Les marques les plus fortes sont celles qui communiquent depuis des dizaines et des dizaines d’années sur seulement quelques thèmes, plutôt que de faire des campagnes de réactivité.

Les institutions publiques ou les ONG s’en sortent-elles mieux que les entreprises?

e Le maillon faible, ici, c’est le problème de l’identification: les gens ne se sentent pas concernés par les messages de prévention ou de promotion des comportements écologiques. Quand le message est alarmiste, ils se disent « pourquoi je me sacrifierais pour d’autres qui ne font pas d’efforts ». Et quand il est mesuré, leur réaction c’est: « elle est bien votre campagne, j’espère que les gens vont comprendre ».

La difficulté quand on travaille sur la communication environnementale, c’est de ramener les enjeux aux micro-comportements: en quoi mon action va bien pouvoir jouer sur le protocole de Kyoto? se demandent les gens.

D’après un eurobaromètre, partout en Europe, les gens déclarent que près de chez eux, il n’y a pas de problème d’environnement. Mais plus on augmente le territoire de référence, moins ça va. Ainsi, en Belgique, c’est pas terrible; en Europe, c’est mauvais et dans le monde, c’est la catastrophe. L’échelle temporelle est aussi un frein: pour les Européens, les problèmes d’environnement, ce sera surtout pour les générations suivantes. Donc ils ne se sentent pas concernés. Et enfin quand on leur demande à qui sont dus ces problèmes, ils répondent 1) aux entreprises, 2) aux pouvoirs publics et 3) aux consommateurs, mais les autres consommateurs. En conclusion, les problèmes d’environnement, ce n’est pas ici, pas maintenant et pas moi!

Par quel biais sensibiliser le public, alors?

e Par des messages non pas généralistes, mais concrets. Il faut aussi rendre concrètes les problématiques: une tonne de gaz à effet de serre ou bien la déforestation, les gens ne visualisent pas bien ce que c’est. Tandis que parler d’un terrain de foot déboisé toutes les 10 secondes en Amazonie matérialise le phénomène. Il faut aussi valoriser l’individu, le gratifier et lui montrer ce qu’il a à y gagner. Et surtout, il faut réintroduire l’humain dans les campagnes environnementales: on voit de magnifiques paysages, mais le grand absent, c’est l’homme.

Vous avez eu des expériences très variées: responsable de communication en entreprise, conseiller en communication à la Fondation Nicolas Hulot, collaborateur au ministère de l’Environnement français, etc. Laquelle vous a le plus marquée?

e Le ministère de l’Environnement, en 2004, car j’étais au cœur du cabinet pour travailler sur la stratégie nationale de communication responsable. Cela a été le début des enquêtes que j’allais conduire sur le sujet. Et ce que j’en ai surtout retenu, c’est la marge de manœuvre limitée de l’homme politique, sur l’environnement, par rapport à des attentes assez incroyables. Les gens nous disaient « nous, on est prêts à jouer le jeu, mais on veut que vous montriez l’exemple, on ne veut pas être les dindons de la farce ».

Ce qui a été marquant aussi, c’est l’extrême décalage entre le déclaratif et le comportemental. Par exemple, 90&flexSpace;% des Européens se disent pour le commerce équitable et 50&flexSpace;% de ceux-là déclarent faire des courses équitables. Or, dans les faits, c’est 2 euros par an et par personne qui sont consacrés à des achats du commerce équitable. Les instituts de sondage font en général un correctif de 30&flexSpace;% entre les déclarations et le comportement. l C.B.

Actuellement:

Président du Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication d’Organisation (Lasco — Université de Louvain-la-Neuve).

Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris.

Membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot.

Par le passé:

Il a travaillé en agence de communication, puis comme responsable de la communication au sein d’une des premières entreprises françaises.

Membre de la cellule de veille environnementale du ministère français de l’Écologie (ministère Bachelot).

Collaborateur au cabinet du ministre du Développement durable, Serge Lepeltier (2004).

Il a publié une quinzaine d’ouvrages, dont « La communication verte » en 1992 considéré comme l’un des pionniers sur ce thème.

Organisée par le Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication des Organisations (Lasco), la conférence internationale « Communicating Green » aura lieu les 18 et 19 novembre 2010 en présence de professionnels de la communication, d’académiciens, de chefs d’entreprises ainsi que d’agences de communication. Les orateurs présenteront les résultats d’études menées sur les méthodes et les pratiques utilisées par les organisations et les entreprises dans leurs discours en matière d’environnement.

Les actes du colloque seront publiés dans un numéro spécial de la revue scientifique « Recherche en communication ».

Programme complet sur: www.uclouvain.be/309350.html

Lieu: IHECS, rue de l’Étuve 58-60 à 1000 Bruxelles

Contact: Audrey Crucifix / audrey

Pas trop de vert dans votre communication

Les entreprises intègrent de plus en plus la communication environnementale au cœur de leur stratégie. Elle est devenue le deuxième thème le plus exploité après l’innovation et avant la qualité des produits et services. Pour le communicateur d’entreprise, il s’agit de faire face à de nouveaux enjeux dont il n’a pas toujours toutes les cartes. C’est pourquoi ces 18 et 19 novembre, un colloque organisé par le Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication des Organisations (LASCO) de l’UCL décodera les grands enjeux de la communication durable et les pratiques du discours environnemental par les organisations et les entreprises. « C’est la première fois qu’on rassemble à la fois le monde scientifique et le monde de l’entreprise sur ce sujet, se réjouit Thierry Libaert, président du LASCO. La communication d’entreprise a beaucoup à gagner à s’intéresser davantage à ce qui se passe dans la recherche, et celle-ci doit rendre ses résultats plus accessibles. » Ces deux journées promettent quelques surprises, tant le discours environnemental est devenu lisse et stéréotypé. De quoi remettre une série de pendules de la communication verte à l’heure. « On a l’impression que le développement durable est devenu une sorte de passage obligé, un thème consensuel à l’intérieur de l’entreprise, analyse Thierry Libaert.

En termes de communication, on est face à une espèce de monde utopique, où le mot contradiction apparaît très rarement. Si l’on réalise un blind test où l’on interchange différents journaux d’entreprises, on ne reconnaît même pas de quelle organisation il s’agit. » Clairement, la communication verte n’est pourtant pas la panacée, d’autant qu’il y a un risque d’effet boomerang : l’entreprise s’expose à la suspicion d’éco-blanchiment (greenwashing). « Pas mal d’entreprises en Belgique se font d’ailleurs épingler par le jury d’éthique publicitaire, affirme Thierry Libaert. Des chercheurs ont réalisé une analyse sur l’image et la réputation. Ils ont constaté qu’en période de crise, la communication durable ne protège pas l’entreprise, au contraire. Le paramètre de la confiance vient se glisser et il y a un effet déception si les résultats ne sont pas atteints. » D’autres chercheurs se sont intéressés au point de vue du consommateur. Là aussi, les résultats viennent relativiser quelques idées reçues. «On dit souvent que l’attente des consommateurs est grande en matière environnementale, mais en la matière, le déclaratif est souvent un élément de valorisation. Dans la pratique, il y a un décalage avec ces déclarations. » Dans un métier en pleine mutation, le communicateur d’entreprise a tout intérêt à adopter une attitude prudente et éclairée. « Et à s’éloigner de la langue de bois pour réassurer les salariés et les consommateurs sur ce que l’entreprise peut faire de bien. »